Iran – États-Unis, à quand la reprise du dialogue ?

Téhéran a tout à gagner à éviter une escalade militaire qui lui serait fatale, et Washington à contrer les approvisionnements en énergie de la Chine

À seulement sept mois de l’expiration officielle de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le 18 octobre 2025, Donald Trump semble avoir renoué avec la politique de pression maximale qu’il avait menée au cours de son premier mandat vis-à-vis de l’Iran.

Menaces américaines pour contraindre la négociation

Alors que le pays est sous embargo économique depuis la dénonciation unilatérale du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) en 2018 par Trump, ce dernier a, dès son investiture, décidé de nouveaux trains de sanctions contre Téhéran. Celles-ci visent précisément l’industrie pétrolière iranienne, dernier secteur économique lucratif grâce aux contournements silencieux des sanctions, avec notamment l’assistance de la Chine.

Par ailleurs, le nouveau président américain a déclaré avoir adressé, le jeudi 6 mars, une lettre enjoignant les autorités iraniennes à reprendre les négociations sur le programme nucléaire, sous peine de frappes militaires contre leurs installations. Bien qu’attaché à sa doctrine non interventionniste, Donald Trump a, à plusieurs reprises, évoqué la possibilité d’actions préventives, soutenues par Israël, contre des infrastructures iraniennes si les négociations échouaient, espérant ainsi contraindre Téhéran à négocier.

Alors que le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, a démenti avoir reçu une lettre, il y a répondu indirectement en dénonçant “l’intimidation des gouvernements” et en refusant, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi (en marge de la conférence de l’Organisation de la coopération islamique à Djeddah), d’entamer “aucune négociation directe avec les États-Unis tant qu’ils continueront leur politique de pression maximale et leurs menaces”.

Pourtant, en dépit des pressions épisodiques du nouveau président américain et des réactions cadenassées de Téhéran, le contexte semble plus que jamais propice à la reprise des négociations.

L’Iran exsangue

Tout d’abord, l’Iran traverse une crise sans précédent. Les sanctions en vigueur depuis 2018 asphyxient le pays, confronté à de fréquentes pénuries et à un chômage massif qui frappe notamment la jeunesse iranienne, désillusionnée et écœurée par les sanglantes répressions du régime.

Alors que l’inflation avoisine les 40 % et que le rial iranien a connu une dévaluation de près de 30 % le mois dernier, le ministre de l’Économie et des Finances, Abdolnasser Hemmati, a été limogé par le Madjles (Parlement iranien) pour avoir échoué à endiguer ces déséquilibres économiques.

Sur le plan stratégique, l’influence régionale iranienne a largement reculé. La guerre à Gaza, l’offensive israélienne contre le Hezbollah et la chute du régime de Bachar al-Assad ont significativement affaibli les proxys iraniens, tandis que les frappes israéliennes d’octobre 2024 ont endommagé ses capacités militaires.

L’élection de Massoud Pezechkian, ancien ministre de Rohani sous lequel l’accord sur le nucléaire iranien avait été conclu, traduit la volonté de la population de sortir de son isolement.

Quant au régime iranien, son affaiblissement inédit le prédispose à négocier avec l’Occident s’il veut éviter une escalade militaire qui lui serait fatale.

L’Arabie saoudite à la manœuvre

Face à ce risque d’embrasement, les puissances régionales manœuvrent pour servir leur agenda. À commencer par l’Arabie saoudite, qui accueille les négociations russo-américaines sur l’Ukraine et plaide pour la reprise des pourparlers sur le nucléaire iranien. Le prince héritier, Mohammed ben Salmane, est conscient que la stabilité régionale est indispensable pour garantir ses exportations d’hydrocarbures et mener à bien son projet Vision 2030 de diversification économique et touristique post-pétrole.

Le royaume saoudien garde un souvenir amer des frappes de 2019, attribuées à l’Iran, contre ses installations pétrolières, qui avaient gravement affecté ses exportations de brut. Ce précédent a renforcé la volonté de Riyad d’apaiser ses relations avec son voisin perse, ce qui a conduit à la reprise des relations diplomatiques irano-saoudiennes en mars 2023.

Course américaine à l’hégémonie contre la Chine

De son côté, le président américain a aussi besoin du soutien saoudien pour la reconstruction de Gaza et pour ses efforts de médiation régionale.

Enfin, la reprise du dialogue entre Donald Trump et Vladimir Poutine pour négocier la paix en Ukraine et éloigner la Russie du giron chinois pourrait, compte tenu des étroites relations entre Moscou et Téhéran, faciliter un compromis.

Trump a parfaitement intégré que la course à l’hégémonie se jouera, dans les années à venir, entre les États-Unis et la Chine. Il perçoit dans la restauration de l’accord sur le nucléaire iranien une opportunité de priver Pékin d’un partenaire stratégique.

L’Iran, qui possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz grâce à son champ gazier South Pars, et les troisièmes de pétrole, est un allié essentiel pour Pékin, surtout depuis le retour des sanctions en 2018.
Les États-Unis ont réussi à réduire leur dépendance à la Chine, tant pour les semi-conducteurs, en relocalisant leur production afin de ne plus être tributaires de Taïwan, que pour les terres rares, en contournant le monopole chinois grâce à des négociations visant à obtenir une part des ressources ukrainiennes en échange de leur soutien militaire et financier pendant la guerre.

Bras de fer avec Pékin sur l’énergie

Washington entend à présent réduire l’influence chinoise et impacter ses approvisionnements énergétiques. Alors que la Russie et l’Iran disposent des premières réserves mondiales de gaz et que la Chine est le premier importateur de gaz, le président Trump refuse catégoriquement que Pékin puisse bénéficier de l’exploitation de gisements gaziers conséquents à l’image de celui de South Pars.

D’autant que la Chine louche sur ce dernier. Si l’Iran a récemment annoncé des contrats de 17 milliards de dollars attribués à des entreprises iraniennes pour augmenter la pression des réservoirs de gaz, le géant chinois CNPC (China National Petroleum Corporation) avait été choisi pour remplacer Total et développer la phase 11 du gisement gazier South Pars, avant que Pékin ne se soit désengagé du projet du fait des sanctions.

L’issue de ce bras de fer reste suspendue non seulement aux décisions de Washington et de Téhéran, mais aussi à la manière dont les trois autres puissances – Russie, Arabie saoudite et Israël – ménageront leurs intérêts respectifs.

Ardavan Amir-Aslani et Sixtine Dupont dans Le nouvel Economiste le 14/03/2025

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