Une telle guerre déclencherait des combats sans fin dans tout le Moyen-Orient. Les États-Unis le veulent-ils vraiment ?
Le pire n’est pas toujours certain. Néanmoins, les Etats-Unis, en dépit de leurs déclarations, multiplient les « messages clairs et sans équivoque » à destination de Téhéran pour affirmer que la guerre était une option tout à fait envisageable.
En début de semaine dernière, les Américains ont ainsi déployé un premier groupement de forces armées dans le Golfe Persique, avec l’envoi précipité du porte-avion USS Abraham Lincoln et d’un détachement de bombardiers. Vendredi 10 mai, le navire de guerre USS Arlington, chargé de Marines, de véhicules amphibies, d’équipements conventionnels de débarquement et d’hélicoptères, devait rejoindre la région et se poster face à l’Iran. Entre temps, pour répondre à ces provocations, l’Iran a décidé de renoncer à certains de ses engagements dans le cadre de l’accord de Vienne sur le nucléaire, et a appelé la Chine et les Européens à le protéger des sanctions américaines.
Faut-il comparer la situation à celle qui précédait l’invasion américaine en Irak en 2003 ? Du point de vue de Richard Durbin et Tom Udall, sénateurs américains, il semblerait que oui, du moins sur un point précis : il ne fait aucun doute que la « politique iranienne » de l’administration Trump vise, in fine, à attaquer frontalement l’Iran pour l’obliger à changer de régime politique, fusse-ce au prix d’un prétexte fallacieux.
Si les analyses convergent toutes vers une grande inquiétude et la possibilité d’une guerre, pour autant sa mise en œuvre pourrait différer du précédent irakien.
Certains observateurs évoquent plutôt une guerre aux « ramifications hideuses », ce qu’on imagine être une guerre par proxy démultipliée qui déclencherait des combats meurtriers non pas sur un seul terrain d’opération, mais dans tout le Moyen-Orient. Soit à chaque endroit où l’Iran possède une influence locale et où les Américains sont présents, notamment en Syrie, en Irak, au Liban et dans les territoires palestiniens.
Une situation catastrophique, et une véritable poudrière autour de laquelle l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et Israël, en poussant les Etats-Unis vers la guerre, dansent un briquet à la main. Aveuglés par leur haine envers l’Iran, songent-ils bien aux conséquences directes qu’un tel conflit engendrerait également sur leur territoire ?
Si l’Iran ne dispose pas des mêmes capacités militaires que les Israéliens, il peut en revanche influencer des groupes comme le Hezbollah au Liban ou le Hamas en Palestine pour tirer des roquettes sur Israël, agressions auxquelles l’Etat hébreu, appuyé par les forces américaines, riposterait avec une extrême violence.
Rien n’empêcherait également l’Iran de frapper les pays arabes du Golfe Persique qui abritent une base militaire américaine : à Bahrein et au Koweit, les Etats-Unis comptent respectivement trois bases, deux aériennes et une terrestre. Les Emirats et le Qatar possèdent chacun une base aérienne. Soit, sur l’ensemble du Golfe Persique, huit bases américaines. L’Iran pourrait également user de son influence au Yémen pour bloquer les détroits d’Ormuz – par où transite 20% du pétrole mondial – et de Bab el-Mandeb, points de liaison à l’importance stratégique immense pour circuler entre la Mer Rouge et l’océan Indien, ce qui paralyserait potentiellement tout le commerce international.
On imagine aisément le chaos qu’une telle multiplication de conflits engendrerait, entraînant la mort de plusieurs milliers de civils dans tout le Moyen-Orient, mis globalement à feu et à sang.
Si une guerre totale était engagée contre l’Iran par les Etats-Unis, il est évident que l’Iran ripostera. Certes, son arsenal d’armes conventionnelles est moins vaste et moins sophistiqué que celui des Américains et des Israéliens. C’est l’un de ses points faibles, avec une armée de l’air décimée depuis la guerre Iran-Irak. Cependant, l’Iran dispose d’excellentes forces armées terrestres, composées d’armées régulières et de troupes d’élites, qui ont développé leurs capacités de défense en se basant sur les points faibles de l’adversaire, et qui possèdent des armes peut-être moins modernes, mais adaptées aux réalités de leur pays. Sans oublier les fameux missiles balistiques à têtes multiples Korramshahr, d’une portée de 2000 km, qui appartiennent au corps des Gardiens de la Révolution. Nul doute aussi que la Russie et la Chine n’hésiteront pas à apporter un soutien technologique et peut-être humain à l’Iran dans cet éventuel affrontement.
Les Etats-Unis cherchent à créer les conditions d’un conflit et multiplient les signaux à cet égard. Les Iraniens, de leur côté, cherchent à gagner du temps en appelant la Chine et les Européens à sauver ce qu’il reste de l’accord de Vienne, sans trop d’illusions. Personne ne veut la guerre, mais tout le monde s’en rapproche dangereusement. Depuis le début, les Etats-Unis s’abritent derrière la vieille excuse toujours invoquée pour justifier une ingérence militaire, celle de rendre sa liberté à un peuple iranien fatigué par 40 ans de République islamique. Qui peut croire que les Iraniens, peuple fier entre tous, souhaiterait une telle aide étrangère qui, au demeurant, les fait déjà souffrir sur le plan économique et tuerait bon nombre de leurs compatriotes ?
Ironiquement, le salut pourrait peut-être venir de Donald Trump lui-même. Le président américain, s’il souhaite effectivement infléchir le régime de Téhéran et l’obliger à se comporter comme « un Etat normal », s’est néanmoins toujours opposé au déclenchement de nouvelles guerres à l’étranger, par souci d’éviter de nouvelles pertes humaines après plus de quinze ans de conflit en Afghanistan et en Irak. Au vue de l’actualité récente, on sent que les faucons de son administration souhaitent enterrer ce vœu pieux. Néanmoins, jeudi dernier, Donald Trump a invité Hassan Rohani à l’appeler pour trouver les termes d’un « accord équitable ». Mais lorsque les Etats-Unis déclarent qu’ils tiendront l’Iran responsable de toute attaque contre leurs forces dans la région – même si celui-ci n’en est pas responsable – pourquoi ceux-ci se priveraient-ils d’utiliser le moindre prétexte si cela sert leurs intérêts ?
Il semble toutefois qu’au-delà du souhait de voir tomber la République islamique au moyen de sanctions et de menaces, l’administration Trump n’ait pas réellement planifié la moindre stratégie de long terme, en se basant par exemple sur des forces iraniennes à l’intérieur du pays pour préparer une transition politique. Cette absence de stratégie invalide, pour certains observateurs, l’hypothèse d’un véritable conflit armé. Alors, on souhaite bien entendu que la situation n’en reste qu’au rapport de forces et n’aille pas plus loin. Car si la guerre était déclenchée, qui sait si celle-ci ne serait pas, in fine, pire encore que la guerre de 2003 : un conflit aux multiples foyers et sans fin, tant sa résolution s’avérerait complexe.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Article paru dans Le Nouvel Economiste du 14/05/2019.