Pas encore tout à fait équipé du système anti-aérien S-400 russe, l’Iran a subi fin janvier une nouvelle attaque de drones à Ispahan, dans le sud du pays. Elle a ciblé une installation militaire, présentée comme une usine de munitions, mais très certainement dédiée au développement et à la production de missiles balistiques de moyenne portée Shahab-3, capables de couvrir une distance de 2000 kilomètres. Selon les renseignements américains, l’attaque serait l’œuvre du Mossad, ce qui en ferait le dernier épisode de la guerre de l’ombre entre Israël et l’Iran. Celle-ci s’est singulièrement accentuée depuis que Téhéran a consacré une large part de ses capacités militaires à la production de missiles de longue portée. L’arsenal de missiles iraniens est en effet devenu en dix ans le plus important du Moyen-Orient et le plus diversifié, et son perfectionnement a été un axe prioritaire de la République islamique. Dans l’éventualité d’un affrontement militaire avec l’Iran, l’état-major américain chiffrait aujourd’hui à plus de 3000 le nombre de missiles balistiques en possession de Téhéran, de types variés, dont les hypersoniques sont les fleurons et largement capables d’atteindre Israël et au-delà.
Ce développement est allé de pair avec un programme nucléaire iranien qui, depuis 2018 et la suspension du Joint Comprehensive Plan of Action, a suffisamment progressé pour faire de l’Iran un « Etat du seuil » et constituer, aux yeux de l’État hébreu et des autres voisins et rivaux de l’Iran dans la région, une menace existentielle. La principale crainte de Tel-Aviv est en effet que l’Iran puisse équiper ses missiles d’ogives nucléaires, une maîtrise technologique qu’il n’a pas encore démontrée mais qu’il serait en mesure d’atteindre rapidement. La quantité d’uranium enrichi dont il dispose aujourd’hui le rend en effet capable, selon les dernières estimations onusiennes, de se doter d’une bombe nucléaire en une semaine, et de deux ou trois ogives en un mois. L’adaptation d’une ogive sur un missile balistique prendrait néanmoins deux ans selon les experts et services de renseignements américains et israéliens, quand d’autres estimations plus alarmistes annoncent un délai de six mois.
Israël a donc fait de la lutte contre la montée en puissance iranienne l’une des priorités de sa politique étrangère. Outre les capacités opérationnelles de l’Iran, l’État hébreu craint son ingérence à ses frontières et son réseau de proxies patiemment structuré depuis quarante ans. Pour autant, les ciblages contre les personnalités liées au programme nucléaire iranien, ou contre ses infrastructures sensibles, ont eu beau se multiplier ces dernières années, rien n’a ralenti l’Iran dans sa progression technologique et l’étoffement de son arsenal. Le renforcement de la coopération militaire entre l’Iran et la Russie constitue par ailleurs un sujet d’inquiétude profonde pour les Occidentaux, qui craignent de le voir se déployer sur le terrain ukrainien. Pour l’heure, ceux-ci ne semblent pas avoir trouvé la meilleure manière d’adresser cet enjeu, alors que le temps presse.
Bientôt capable de protéger l’intégralité de son espace aérien grâce à son rapprochement stratégique avec la Russie, l’Iran deviendra dans les tout prochains mois beaucoup plus imperméable aux attaques extérieures. L’attaque d’Ispahan attribuée au Mossad pourrait ainsi être le prélude à d’autres frappes israéliennes sur le sol iranien dans les trois à six mois, avec un risque certain d’escalade entre l’Iran et l’État hébreu, voire de basculement dans la guerre ouverte. L’affrontement engagerait par ailleurs l’intégralité du Moyen-Orient, en raison de l’inévitable mobilisation des proxies iraniens contre Israël.
Bien qu’il se trouve encore dans l’impasse depuis l’été dernier, l’accord sur le nucléaire iranien demeure donc le seul et unique rempart susceptible de prévenir une telle déflagration régionale, dont les répercussions mondiales viendraient s’ajouter à celles déjà occasionnées par la guerre en Ukraine. S’il a donné la preuve, entre 2015 et 2018, de son efficacité en matière de non-prolifération nucléaire, le JCPoA comportait néanmoins une faiblesse majeure, celle de ne pas adresser, précisément, la question des missiles balistiques de l’Iran, une des raisons pour lesquelles Israël s’était d’ailleurs opposé à l’accord. En cas de nouvelles négociations, le sujet ne saurait être de nouveau écarté des discussions. Certes, l’Iran en avait fait une question de souveraineté nationale et avait systématiquement rejeté tout encadrement. Mais la situation iranienne de 2023 n’est plus celle de 2015, loin s’en faut. Face à une population en révolte, le régime est aujourd’hui contraint et forcé d’obtenir une levée des sanctions économiques, et devra, pour ce faire, consentir à des concessions, même coûteuses. On pourrait accuser les Occidentaux de soutenir un régime honni qui finira par tomber, quoi qu’il fasse. Mais la prévention d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient et un véritable soutien, économique, aux Iraniens, sont un bien meilleur pari sur l’avenir qu’un imprudent attentisme.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 12/02/2023.