Guide suprême de la révolution islamique depuis 1989, Ali Khamenei est aujourd’hui l’une des figures les plus détestées d’Iran. Le mouvement “Femme, vie, liberté” en avait fait l’incarnation vivante d’un régime qui, en quarante ans d’existence, a appauvri les Iraniens, fermé leurs horizons et mis l’Iran au ban des nations. À 84 ans, le Guide est pourtant devenu la clé de l’avenir du pays, car son décès pourrait en effet signifier la fin de la dernière théocratie du Moyen-Orient.
“À 84 ans, le Guide est pourtant devenu la clé de l’avenir du pays, car son décès pourrait en effet signifier la fin de la dernière théocratie du Moyen-Orient”
La République islamique de 2023 n’a en réalité plus grand-chose à voir avec celle de 1979. Le contrat social établi par l’imam Khomeini s’appuyait avant tout sur la doctrine de la Velayat e-faqih, “le gouvernement du jurisconsulte”, principe religieux présent uniquement dans le chiisme duodécimain qui confère l’exercice du pouvoir aux mollahs – le plus sage d’entre eux, le Faqih, étant désigné guide suprême. Dans l’histoire de la République islamique, seuls deux hommes ont occupé cette fonction : le fondateur du régime, et son successeur Ali Khamenei. Mais le pouvoir iranien s’appuie également sur un autre pilier : la légitimité accordée par le peuple via l’exercice du droit de vote.
Des Iraniens sans illusions
Aujourd’hui, ces deux piliers sont dans un état critique. Un rapide état des lieux de la santé démocratique de l’Iran montre à quel point le régime iranien est devenu un pouvoir illégitime. En 2009, le Mouvement vert avait secoué le pays face aux soupçons de malversations électorales assurant la victoire de Mahmoud Ahmadinedjad aux élections présidentielles. Lors du scrutin de 2021, plus de 60 % des Iraniens se sont abstenus de voter, un record depuis 1979. Quelle est la stabilité d’un pouvoir aussi mal élu ? Peu dupes des blocages inhérents à la polarisation du débat public, les Iraniens conservaient au moins l’espoir d’influer sur les orientations du pays par leur vote. Les répressions sanglantes et régulières imposées par le régime face aux aspirations légitimes du peuple iranien l’ont vidé de sa substance.
“Les Iraniens conservaient au moins l’espoir d’influer sur les orientations du pays par leur vote. Les répressions sanglantes et régulières imposées par le régime l’ont vidé de sa substance”
Sans illusions face à l’action politique, les Iraniens n’accordent pas davantage leur confiance au clergé chiite, qui cristallise toutes les haines et les ressentiments. Le “jeu du turban”, qui consistait pour les manifestants de l’automne dernier à ôter le symbole de leur statut aux mollahs croisés dans la rue, a traduit très clairement ce processus de délégitimation. Au sein même de la sphère religieuse, nombreux sont les clercs à avoir ouvertement critiqué la répression du dernier mouvement social, les arrestations et les nombreuses condamnations à mort justifiées par des interprétations très discutables de la loi islamique. Sans doute parce qu’ils se savent en première ligne face à la vindicte populaire, les religieux iraniens doutent de plus en plus fortement de la pérennité de la République islamique dans sa forme actuelle.
Qui pour succéder au guide suprême ?
Du fait de son grand âge et de sa santé fragile, la succession d’Ali Khamenei est officieusement au cœur de toutes les préoccupations politiques en Iran, alors qu’aucune personnalité n’a jamais été nommément désignée par le guide suprême pour le remplacer. Les candidatures d’Ebrahim Raïssi, actuel président de la République, et du propre fils du Guide, Mojtaba, sont jugées peu crédibles. Ultra-conservateur mais théologien très limité, Raïssi est loin de faire l’unanimité, tandis que la perspective d’une succession dynastique, principe très éloigné des fondamentaux voulus par l’imam Khomeini, paraît encore plus improbable. Théoriquement, le prochain guide suprême devra donc être choisi par une assemblée de 88 dignitaires religieux. En cas d’indécision, le choix reviendra à la sphère laïque, un conseil composé du président de la République, du chef du pouvoir judiciaire et d’un des juristes du Conseil des gardiens de la Constitution (l’équivalent du Conseil constitutionnel français), qui soumettra ensuite sa décision au peuple par référendum.
Il apparaît donc certain que l’Iran s’achemine vers la fin de la République islamique. Les conditions et l’issue de la transition politique constituent désormais les principaux enjeux.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 20/06/2023.