En cet Orient si compliqué, les observateurs ont trop souvent tendance à écarter l’évidence des faits en faveur d’une explication alambiquée fondée sur la théorie du complot. Comme si l’évidence n’était pas de nature à expliquer les faits et qu’il fallait impérativement rechercher l’explication véritable ailleurs, qui elle, serait forcément occulte. L’idée sous-jacente étant qu’il faut chercher un sens caché dans chaque chose car la vérité n’est pas transparente ni librement consultable.
C’est ainsi que fut appréhendé le retrait américain de l’Arabie Saoudite de ses quatre batteries de missiles Patriot et la flotte de deux escadrons de F15 que ces missiles étaient censés protéger. L’explication américaine qui consistait à insister sur le besoin d’assurer la maintenance aussi bien des missiles que des avions de chasse n’a convaincu personne en cette période de tension dans le golfe persique.
Or, pour expliquer ce retrait, il est difficile de ne pas se référer à la menace que les Etats-Unis ont proféré à l’égard de l’Arabie Saoudite en la personne de son prince héritier le 2 avril dernier lors d’un entretien téléphonique entre Trump et Mohammad bin Salmane (« MBS »). A l’occasion de cette conversation téléphonique, Trump a clairement fait comprendre à MBS que si l’Arabie Saoudite ne réduisait pas sa production pétrolière, le parapluie de défense que les Etats-Unis apportaient à son pays allait se refermer mettant de la sorte un terme à 75 années de protection militaire.
Cette protection militaire, souvent appelée l’accord Quincy, d’après le bâtiment de la marine américaine sur lequel Roosevelt et Ibn Saoud se sont rencontrés, prévoyait justement la protection américaine pour les Saoud et leurs installations pétrolières en échange de l’accès américain à leurs gisements miniers d’hydrocarbures. Aujourd’hui, plus de trois mille soldats américains sont stationnés en Arabie Saoudite et la 5e flotte américaine ancrée au Bahreïn protège les exportations pétrolières saoudiennes.
Dix jours après ce fameux entretien téléphonique du 2 avril, les Saoudiens obtempéraient. L’OPEP a accepté sous la pression saoudienne de réduire sa production pétrolière de 10% correspondant à 9,7 millions de baril/jours, dont 2,5 millions de barils sur les seuls quotas de l’Arabie Saoudite.
La tâche de Trump n’était pas difficile car il est vrai de surcroit que l’Arabie Saoudite ne jouit pas d’une grande sympathie au sein du Congrès américain. Toutes tendances confondues les sénateurs ne cessent de critiquer l’Arabie Saoudite dont l’image se dégrade depuis le tragique affaire Khashoggi. Le 16 mars dernier, presqu’un mois avant la décision de l’OPEP de réduire sa production pétrolière et deux semaines avant l’entretien entre MBS et Trump, 13 sénateurs républicains ont interpellé le prince héritier saoudien par écrit en lui rappelant la totale dépendance aussi bien de sa famille que de son pays au soutien militaire de Washington.
Deux jours après l’envoi de ce courrier collectif par des sénateurs républicains à MBS, le même groupe de signature s’est rendu à l’Ambassade saoudienne à Washington afin de relayer verbalement leur message à l’ambassadrice saoudienne, Reema bint Bandar bin Sultan avec une violence qui reflétait à l’identique le désarroi du secteur pétrolier américain, notamment celui du pétrole de schiste et les conséquences de la guerre désastreuse saoudienne au Yémen ayant déjà fait 100,000 morts civils.
Il n’en demeure pas moins que malgré l’acceptation par les Saoudiens d’assumer le coût du déploiement des missiles et des F15, à hauteur de 500 millions de USD, ce contingent n’est pas encore revenu, histoire pour Trump de rappeler la dépendance de Ryad à l’égard de Washington en ces temps troubles où le programme spatial iranien place des missiles militaires en orbite….
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 13/05/2020.