La vague de normalisation incluant le Bahreïn, le Maroc, les Émirats arabes unis et le Soudan démontre que les arguments de Tel Aviv pour courtiser les pétromonarchies arabes fonctionnent. Le 15 septembre 2020, les Émirats arabes unis et le Bahreïn sont devenus les premiers pays du golfe Persique à normaliser officiellement, par les Accords d’Abraham, leurs relations diplomatiques avec Israël. Le Maroc et le Soudan avaient suivi peu de temps après, provoquant l’ire de nombreux pays voisins. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a exprimé lors d’une récente conférence de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee, lobby créé en 1963 aux États-Unis visant à soutenir Israël) l’enthousiasme de Rabat de s’engager plus profondément avec Israël, et a rappelé la nécessité de contrer les activités “déstabilisatrices” de l’Iran dans la région.
Des signes de confiance réelle
La proximité entre Israël et les pétromonarchies arabes n’est toutefois plus un secret. L’entretien trilatéral entre le secrétaire d’État Antony Blinken et ses homologues israélien et émirati, qui a eu lieu à la mi-octobre, est la preuve idoine d’une vraie entente et d’une réelle confiance diplomatique. La finalité de cette rencontre officielle était de relancer la dynamique du processus de reconnaissance d’Israël par les pays arabes. Le secrétaire d’État américain s’est dit déterminé, aux côtés de ses homologues, “à continuer de faire fructifier les efforts du précédent gouvernement pour élargir, au cours des prochaines années, le cercle des pays aux relations normalisées avec Israël”.
“La proximité entre les pays arabes et Israël s’est également illustrée récemment avec l’affaire Pegasus, ce genre de data, qui cible utilement les militants, les journalistes et opposants politiques des régimes autoritaires, devient une véritable monnaie d’échange diplomatique”
La proximité entre les pays arabes et Israël s’est également illustrée récemment avec l’affaire Pegasus, programme de surveillance de l’entreprise israélienne NSO Group, qui a été utilisé par des pays comme le Maroc, ainsi que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Cette alliance technologique mise en place par l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou avec ces pays arabes démontre que ce genre de data, qui cible utilement les militants, les journalistes et opposants politiques des régimes autoritaires, devient une véritable monnaie d’échange diplomatique.
Technologies et influence pour les pays arabes
Ce rapprochement certain entre Israël et les pays arabes est une win-win situation pour les parties en jeu.
En échange de leur acceptation d’une normalisation ne contenant aucun engagement israélien en faveur de la création d’un État palestinien – contrairement à ce qui avait été notamment prévu dans l’Initiative de paix arabe initiée par l’Arabie saoudite en 2002 –, les pétromonarchies sont gagnantes. Elles peuvent en effet bénéficier des armes et des renseignements d’Israël ainsi que ceux des États-Unis en raison de l’alliance historique et de la collaboration pérenne entre ces deux pays. Les pétromonarchies savent également que les futures administrations américaines, en raison de leur grande proximité avec Israël, seront moins regardantes sur les violations des droits de l’homme. L’une des violations des droits de l’homme les plus marquantes fut l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, commandité par le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman, selon une enquête approfondie de la CIA. L’intelligentsia israélienne n’a alors pas hésité à défendre le prince en qualifiant Khashoggi d’allié des islamistes radicaux, voire de terroriste.
“Les pétromonarchies sont gagnantes. Elles peuvent en effet bénéficier des armes et des renseignements d’Israël ainsi que ceux des États-Unis en raison de l’alliance historique et de la collaboration pérenne entre ces deux pays”
L’aide peut également être financière et politique puisqu’Israël a œuvré auprès de l’administration Trump pour que celle-ci accepte de verser une aide d’un milliard de dollars au Soudan pour rembourser sa dette à la Banque mondiale et également de retirer le Soudan de la liste des États soutenant le terrorisme en échange d’une normalisation. Tel Aviv avait également exercé un lobbying intense auprès du Congrès pour que le projet de loi accordant l’immunité au Soudan contre de futures poursuites judiciaires aux États-Unis par des victimes du terrorisme, soit approuvé.
Le projet d’État palestinien enterré
Du côté d’Israël, cette relation apaisée permet d’asseoir définitivement l’État hébreu et d’enterrer tout projet de création d’un État palestinien, dans le cadre du conflit sans fin entre Israël et Palestine. Israël est d’autant plus précautionneux et vigilant vis-à-vis de ses relations avec les pétromonarchies du golfe Persique que la crainte d’un rapprochement entre l’Égypte et l’Arabie saoudite avec la Russie et l’Iran est bien présente.
“Du côté d’Israël, cette relation apaisée permet d’asseoir définitivement l’État hébreu et d’enterrer tout projet de création d’un État palestinien, dans le cadre du conflit sans fin entre Israël et Palestine”
Ainsi, les pétromonarchies du golfe Persique monnayent leur prise de position face à l’État hébreu afin d’exploiter l’influence, le réseau et les technologies avancées d’Israël. Et ce dans le but de renforcer leur position régionale, qui n’est toujours pas sécurisée en raison de la résistance ferme de l’Iran face aux sanctions économiques ces dernières années et à son rapprochement récent avec la Russie et la Chine.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 26/10/2021.