Jamais aucun Premier ministre pakistanais n’aura fini son mandat, et Imran Khan n’aura pas dérogé à la règle. Bien qu’il ait sans doute été le plus médiatique à ce poste depuis Zulfikar Ali Bhutto dans les années 1970, l’ancien champion de cricket a finalement été évincé par une motion de censure votée au Parlement en avril dernier. Même si de nombreux intellectuels et analystes estiment que son renvoi est injuste, voire commandité par “des influences extérieures”, son avenir politique reste hypothétique.
Pourtant, bien que populiste, Imran Khan restera sans doute l’un des Premiers ministres les plus véritablement engagés à défendre les dossiers prégnants du monde musulman. Ainsi, en quatre ans de mandat, il ne se sera rendu que deux fois en Occident, consacrant l’essentiel de son temps aux questions propres à la géopolitique du Moyen-Orient et de l’Asie du sud.
“Les soutiens de Khan, et lui-même, évoquent un complot américain pour expliquer sa chute. Mais l’ancien Premier ministre posait surtout de multiples problèmes aux Saoudiens et aux Émiratis”
En vérité, Imran Khan dérangeait, notamment l’armée pakistanaise, consciente de l’importance des relations entre le Pakistan et l’Occident, son principal marché d’exportation, ainsi qu’avec la Chine sur le plan financier et stratégique face à l’Inde. Les soutiens de Khan, et lui-même, évoquent un complot américain pour expliquer sa chute. Mais l’ancien Premier ministre posait surtout de multiples problèmes aux Saoudiens et aux Émiratis. À cet égard, il n’est guère étonnant que les Frères musulmans, dont l’islam politique basé sur un système démocratique s’oppose en tout point à la monarchie absolue saoudienne, soutiennent Khan et comparent son éviction à celle de Mohammed Morsi en Égypte.
Des relations compliquées avec l’Arabie saoudite et les Émirats
Bailleurs de fonds du Pakistan et s’ingérant régulièrement dans sa vie politique, les deux pétromonarchies n’ont jamais vraiment caché leur mépris envers le “pays des Purs” qui ne s’est pas engagé dans leur guerre au Yémen mais profite volontiers de leur diplomatie du portefeuille, et leur méfiance envers une république islamique forte de 220 millions d’habitants, donc une rivale sérieuse pour le leadership du monde musulman. Khan, précisément, s’est montré sans doute un peu trop critique envers le silence coupable de Riyad et Dubaï face à la situation du Cachemire depuis août 2019, ou sur le conflit israélo-palestinien, au point de vouloir mettre en œuvre une vaste coalition des principales puissances musulmanes du monde asiatique. Ce procès en illégitimité n’a jamais été bien accueilli, et on se souvient du chantage exercé par Riyad sur Imran Khan lorsque celui-ci avait souhaité se rendre au sommet “anti-saoudien” à Kuala Lumpur en décembre 2019, qui réunissait l’Iran, la Turquie, le Qatar et la Malaisie pour évoquer les défis du monde musulman.
“Les deux pétromonarchies n’ont jamais vraiment caché leur méfiance envers une république islamique, une rivale sérieuse pour le leadership du monde musulman. C’est enfin le rapprochement délibéré avec l’Iran que les deux pétromonarchies n’ont pas pardonné à Imran Khan”
C’est enfin le rapprochement délibéré avec l’Iran que les deux pétromonarchies n’ont pas pardonné à Imran Khan. Tant géographiquement que culturellement, il semble pourtant plus logique pour Islamabad de prendre appui sur la République islamique qui, bien que sous sanctions, reste l’autre véritable puissance de la région, dépositaire de vastes réserves d’hydrocarbures. Téhéran est en outre plus indiqué pour traiter les problématiques liées à l’Afghanistan et au terrorisme des talibans pakistanais, que deux États d’obédience wahhabite ou assimilés qui soutiennent de longue date, à la fois financièrement et idéologiquement, les mouvances salafistes à travers le monde musulman. C’est un fait avéré que dès les années 1960, l’islam imprégné de soufisme du Pakistan a été nettement corrompu par la manne financière saoudienne destinée aux madrasas les plus rigoristes, et à l’esprit très éloigné de la culture initiale du pays.
Le retour du statu quo des relations arabo-pakistanaises
Pour les pétromonarchies arabes du golfe Persique, le départ d’Imran Khan au profit de Shehbaz Sharif, chef de la Ligue musulmane et frère de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, est une excellente nouvelle qui rétablira le statu quo dans lequel demeuraient jusqu’à présent les relations arabo-pakistanaises. La famille Sharif est en effet très proche des Saoudiens, et le nouveau Premier ministre n’a jamais manqué de critiquer les velléités d’indépendance diplomatique de son prédécesseur, ainsi que les tensions avec Riyad. Cohérent, il réservera donc sa première visite officielle à l’étranger au royaume saoudien. Regagner l’amitié de l’Arabie saoudite apparaît en effet d’autant plus nécessaire que le nouveau chef du gouvernement a devant lui de nombreux challenges économiques et financiers qui se greffent sur l’éternelle instabilité politique du pays. Le Pakistan compte en effet une dette de plus de 100 milliards de dollars et verse près de 14 milliards par an en remboursement des prêts contractés auprès des institutions monétaires internationales.
“Regagner l’amitié de l’Arabie saoudite apparaît d’autant plus nécessaire que le nouveau chef du gouvernement a devant lui de nombreux challenges économiques et financiers qui se greffent sur l’éternelle instabilité politique du pays”
Mais l’équilibre demeure la clé de la politique étrangère du Pakistan, et sa meilleure assurance pour faire face à ses propres défis intérieurs. Le travail accompli sous Imran Khan ne pourra pas être défait. Le Pakistan est une puissance nucléaire qui a le potentiel pour s’imposer en Asie, à condition de bien choisir ses amis et de se rapprocher de ceux qui lui sont culturellement proches. Trouver d’autres bailleurs de fonds reste donc possible, voire même indispensable à la sauvegarde des intérêts nationaux du pays.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 03/05/2022.