Même s’il convient de se réjouir de l’avènement de la paix où qu’elle soit, il est néanmoins opportun de s’interroger sur la portée et la légitimité d’une reconnaissance fondée non pas sur des valeurs communes mais sur une politique relevant exclusivement du donnant-donnant. Présentés comme des accords historiques, ces pays arabes dont aucun n’est, ni géographiquement ni historiquement, proche du conflit Israélo-palestinien ont monnayés leur reconnaissance d’Israël contre des avantages économiques et militaires octroyés par les Etats-Unis. Du blé pour les uns, des avions de chasses pour les autres et même une reconnaissance territoriale contestable; chaque normalisation a eu une contrepartie matérielle.
En effet, les quatre derniers mois de la présidence de Donald Trump ont été marqués par une frénésie diplomatique visant à obtenir la reconnaissance d’Israël par un maximum de pays arabes. Le dernier en date est le Royaume du Maroc. En effet, le président Trump a annoncé jeudi dernier que le Maroc et Israël avaient convenu de normaliser leurs relations diplomatiques. A l’instar des autres « normalisations » intervenues récemment avec les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et le Soudan, aucune de ces reconnaissances n’étaient motivées par un partage de valeurs communes avec Israël ou par une concordance de point de vue sur le traitement de la question palestinienne. En effet, les pétromonarchies arabes du golfe persique, particulièrement les Emirats Arabes Unis, motivés dans ce rapprochement par la crainte grandissante de l’Iran, ont été récompensés par des ventes d’armes, notamment de 50 F-35 et des Drones Reaper valorisées à la coquette somme de 23 milliards de dollars, déséquilibrant par la même occasion les rapports de force entre les différents membres du Conseil de Coopération du Golfe, dont le Qatar, avec qui ils sont en conflit.
Le Soudan, dont l’économie va connaitre une contraction avec une récession de 8,4 % en 2020 a, pour sa part, obtenu des américains que le pays soit rayé de leur liste d’Etats soutenant le terrorisme. De la sorte, le Soudan va pouvoir, sans risquer un veto de Washington, réintégrer la communauté internationale et engager un dialogue avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Le lendemain de cette reconnaissance, Israël a célébré cette normalisation en envoyant pour 5 millions de dollars de blé pour alléger la pression de la famine qui frappe ce pays.
Le Maroc, lui, a obtenu dans ce qui était clairement une contrepartie, la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté marocaine sur le territoire contesté du Sahara occidental. Ainsi, depuis le retrait de l’Espagne du Sahara occidental en 1975, les États-Unis deviennent le premier et seul pays au monde à reconnaître officiellement les revendications du Maroc sur le Sahara occidental. Le Front Polisario, le mouvement indépendantiste qui contrôle de facto la République Arabe Sahraouie Démocratique, subit ainsi un revers important. Cette décision américaine arrive à un moment particulièrement malheureux car les hostilités ont repris, le mois dernier, après l’effondrement du cessez-le-feu de 1991 et risquent de s’aggraver. De même, cette décision américaine provoquera surement des tensions avec l’Algérie, le plus grand pays d’Afrique par sa superficie et dont l’occident a cruellement besoin dans le combat contre l’islamisme dans l’Afrique subsaharienne.
Il est utile de rappeler également que si l’objectif de ces normalisations était la paix, il est loin d’être acté. En effet, il est certain que les équipements militaires vendus aux Emirats seront utilisés dans le conflit au Yémen où 16 millions de personnes sont au bord de la famine. Sans parler du renouveau des hostilités au Sahara Occidental et du conflit opposant les deux Soudans sur la question pétrolière. Il n’est pas très constructif de faire la paix à un endroit tout en soufflant sur d’autres foyers de tension.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 14/12/2020.