À 22 ans, Mahsa Amini est morte pour avoir “enfreint” le code vestimentaire très strict imposé aux femmes iraniennes dans l’espace public. La jeune Iranienne d’origine kurde était en visite à Téhéran avec sa famille lorsque gashteh ershad, la police des mœurs, l’a arrêtée à la sortie du métro mardi 13 septembre. Le motif : un hijab sans doute jugé mal ajusté pour couvrir ses cheveux, ou une robe estimée trop courte. Deux heures à peine après son arrestation, elle était transférée à l’hôpital où elle est restée trois jours dans le coma avant de décéder.
“Le motif : un hijab sans doute jugé mal ajusté pour couvrir ses cheveux, ou une robe estimée trop courte”
Deux versions sur les causes du décès de la jeune femme s’opposent désormais, celle des autorités, qui invoquent une crise cardiaque et cérébrale, et celle de sa famille, qui la savait en très bonne santé et soutient fermement l’hypothèse de violences policières. Certes sans avoir consulté son dossier médical, de nombreux médecins iraniens ont commenté sur les réseaux sociaux les images montrant les blessures de Mahsa Amini – bleus autour des yeux, saignement à l’oreille – et confirmé qu’elles avaient vraisemblablement été provoquées par des coups portés à la tête, entraînant une commotion cérébrale.
“Mahsa Amini témoigne tristement d’un régime qui n’a jamais été aussi violent qu’aujourd’hui à l’égard des femmes, des intellectuels et des artistes, envers tous ceux qui parmi les Iraniens représentent des voix qui inquiètent et menacent la stabilité du système théocratique”
Mahsa Amini est loin d’être la première victime à décéder dans des circonstances suspectes à la suite d’une arrestation en Iran. Elle témoigne tristement d’un régime qui n’a jamais été aussi violent qu’aujourd’hui à l’égard des femmes, des intellectuels et des artistes, envers tous ceux qui parmi les Iraniens représentent des voix qui inquiètent et menacent la stabilité du système théocratique. En 2003, une photojournaliste irano-canadienne, Zahra Kazemi, est morte dans des circonstances quasi similaires, tandis qu’en 2012, un militant syndical, Sattar Beheshti, a subi le même sort après avoir porté plainte pour torture en prison. Beaucoup plus récemment, en juillet dernier, une autre jeune femme avait été battue durant une garde à vue, puis transférée à l’hôpital pour soigner une hémorragie interne… avant de devoir s’excuser à la télévision publique !
“Mort à Khamenei” sur les réseaux sociaux
Mahsa Amini sera peut-être la victime de trop. Lassés par l’accumulation de ces violences, quotidiennes ou liées à l’actualité géopolitique (comme la tragédie du vol Ukraine International Airlines 752, abattu “par erreur” par les gardiens de la révolution en janvier 2020 dans la foulée de l’assassinat de Ghassem Soleimani), lassés également par le discours officiel des autorités et la manipulation des informations, les Iraniens sont de plus en plus nombreux à manifester à travers l’Iran depuis les funérailles de la jeune femme dans sa ville natale de Saghez, au Kurdistan iranien, samedi 17 septembre. Ce jour-là, la police a eu beau les disperser à coups de gaz lacrymogène, les vidéos montrant les femmes ôtant leur voile et la foule scandant “Liberté”, “mort au dictateur”, “mort à Khamenei”, ont déjà enregistré des millions de vues sur les réseaux sociaux.
Au plus mauvais moment pour le président iranien
Depuis le décès de cette jeune femme, l’Iran hurle sa colère au point que l’événement a fait la une de la quasi-totalité des journaux du pays. Et cela ne pouvait pas plus mal tomber pour Ebrahim Raïssi.
“L’événement fournit à l’administration Biden une raison supplémentaire de différer toute normalisation avec l’Iran, donc toute levée des sanctions qui étouffent son économie”
Alors que le président iranien doit assister à l’Assemblée générale des Nations unies, sa visite à New York sera totalement entachée par cette nouvelle violation des droits de l’homme qui fournit à l’administration Biden, déjà nettement refroidie par la difficulté des négociations autour de l’accord nucléaire, une raison supplémentaire de différer toute normalisation avec l’Iran, donc toute levée des sanctions qui étouffent son économie.
Le voile obligatoire, symbole d’oppression
Acculé par la vindicte populaire, Ebrahim Raïssi a exigé de son ministre de l’Intérieur qu’une enquête soit menée sur l’affaire. Il n’est pas certain que cela suffira à refréner l’exaspération qui agite les Iraniens face à un régime décrédibilisé, jugé illégitime et en sursis. Le débat sur le port obligatoire du voile islamique cristallise en Iran tout le rejet d’une part grandissante de la population envers un système issu de la révolution. Rendu obligatoire en 1979, le port du voile islamique a pu être accepté par les femmes dans les premiers temps de la République islamique car il était la base d’un nouveau contrat social promettant paradoxalement une forme d’émancipation – notamment l’accès aux études – sous réserve d’acceptation de cette privation de liberté.
“Le débat sur le port obligatoire du voile islamique cristallise en Iran tout le rejet d’une part grandissante de la population envers un système issu de la révolution”
Néanmoins, légalement, celle-ci ne figure en réalité ni dans la Constitution iranienne, ni dans le Code civil, uniquement à l’article 638 du Code pénal qui stipule que “les femmes qui apparaissent en public sans porter correctement le hijab doivent être emprisonnées pour une durée de 10 jours à deux mois, ou payer une amende comprise entre 50 000 et 500 000 rials iraniens”. L’ambiguïté est totale autour de la définition d’un port “correct” du voile, ouvrant la voie à toutes les dérives de l’État et des instances policières. Aujourd’hui, le port obligatoire du voile est majoritairement dénoncé comme un symbole d’oppression par 72 % des Iraniens, par les femmes bien sûr, qui osent l’ôter publiquement et se couper les cheveux, mais aussi par les hommes qui, en signe de solidarité avec les Iraniennes, se voilent et publient ensuite les photos sur les réseaux sociaux.
Régime essoufflé
Jugée inédite par de nombreux observateurs ou Iraniens en exil, la violence de la répression étatique témoigne de l’essoufflement d’un système qui, sur le plan domestique, exacerbe les tensions et l’instabilité et, sur le plan international, contribue à maintenir l’Iran dans la marginalité politique et économique. Or, comme dans toutes les sociétés, les Iraniens aspirent au bien-être et à la sécurité au quotidien. Si la République islamique ne respecte plus cet élément fondamental du contrat social, Mahsa Amini pourrait devenir, bien malgré elle, le symbole d’un grand changement à venir.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 21/09/2022.