Lundi 22 avril, Donald Trump a poursuivi sa stratégie d’étranglement de l’économie iranienne, débutée en mai 2018 avec son retrait de l’accord sur le nucléaire : il a ainsi annoncé que le 2 mai prochain, il ne renouvellerait pas les exemptions autorisées aux pays important du brut iranien. Passée cette date, tout pays qui passera outre cette décision s’exposera à des sanctions économiques sévères de la part des Etats-Unis.
Pourquoi cette décision, six mois à peine après la mise en place – à l’étonnement général d’ailleurs – d’exemptions envers les principaux clients de l’Iran ?
On le sait, l’administration Trump vise à obtenir un changement de régime à Téhéran, en coupant l’Iran de sa principale source de revenus, l’exportation de pétrole, et en asphyxiant ainsi son économie. Mais la promesse du président américain de mettre en œuvre les sanctions les plus dures jamais subies par l’Iran tardait vraisemblablement à se réaliser pour les « faucons », l’aile la plus vindicative de son administration. Dans les rangs même des Républicains, le ton monte, et à un an de sa campagne électorale, il n’est guère étonnant que Donald Trump cherche à donner des gages à son camp.
Pour l’heure cependant, cette stratégie envers l’Iran a deux conséquences immédiates et majeures, sans pour autant faire fléchir son régime : elle impacte douloureusement la population iranienne et, couplée à d’autres choix géopolitiques discutables, elle déstabilise le cours mondial du pétrole. Preuve de ce risque donnée de façon presque concomitante, l’imminence de l’annonce du 22 avril faisait déjà s’envoler le cours du baril, qui s’est stabilisé à 74 dollars le même jour, son plus haut niveau depuis 6 mois.
En effet, c’est toute la politique étrangère de Donald Trump qui risque de provoquer à long terme des pénuries de pétrole sur le marché mondial ou, à tout le moins, une forte déstabilisation du marché.
Début 2019, l’Iran était classé cinquième producteur mondial de pétrole. Il compte pour clients des poids lourds de l’Asie et du Moyen-Orient : la Chine, l’Inde, le Japon et la Turquie. Pays qui ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne cesseraient pas leur coopération avec l’Iran. La Chine bien sûr sera d’autant moins encline à la négociation avec les Etats-Unis, que la guerre commerciale qui les oppose n’est toujours pas résolue. La prudente Corée du Sud elle-même, pourtant alliée indéfectible des Etats-Unis en Asie, souhaite continuer à bénéficier de l’exemption.
Afin de compenser tout manque éventuel de brut ou déséquilibre du marché mondial, les alliés naturels des Etats-Unis, Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis, ont augmenté leur production de pétrole dès le 4 novembre dernier. C’était sans compter sur la diplomatie agressive du président américain : les sanctions américaines qui frappent également le Venezuela, pays producteur majeur, dans le but de faire partir Nicolas Maduro du pouvoir, et le soutien surprenant de Donald Trump accordé au maréchal Haftar face au gouvernement de Tripoli, affrontement qui risque pourtant de faire basculer de nouveau la Libye dans la guerre civile, ne contribuent en rien à une stabilisation des cours.
Que ce soit envers l’Iran ou le Venezuela, la stratégie de l’asphyxie économique, que Trump affectionne tant, n’a d’impact qu’envers ceux qui souffrent déjà le plus : les peuples. A ce jour, Nicolas Maduro est toujours en place, et le régime de Téhéran également. En revanche, à l’instar des Vénézuéliens, les Iraniens continuent à souffrir d’une économie malade, d’une inflation qui a passé la barre des 25% et à envisager un avenir des plus sombres pour leur pays.
L’impact inique des sanctions américaines sur la population iranienne s’est déjà clairement manifesté depuis la mi-mars : alors que de dramatiques inondations ont frappé 25 des 31 provinces d’Iran, engloutissant des villages entiers et coûtant déjà au gouvernement près de 3 milliards de dollars, les sanctions américaines bloquent les flux financiers d’aide internationale d’urgence ainsi que l’aide humanitaire, qui permettraient de faire face à la catastrophe et de secourir les populations sinistrées.
L’annonce du 22 avril ne fait donc que renforcer le dégoût des Iraniens envers un pays qui, non seulement n’a jamais respecté ses engagements dans le cadre de l’accord de Vienne, mais essaie de les pousser à la faute en rouvrant, par exemple, les centrales nucléaires fermées. Et elle renforce surtout un régime qui s’éloigne de plus en plus de ses éléments progressistes, ouverts aux milieux d’affaires et à la coopération avec d’autres pays, pour la grande joie des conservateurs. Soit exactement l’inverse du but qu’elle espère atteindre in fine.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans le Nouvel Economiste du 24/04/2019.