Face aux multiples reconfigurations stratégiques actuellement à l’oeuvre au Moyen-Orient, et en dépit des obstacles idéologiques, les Etats-Unis et l’Iran ont réussi à maintenir ouvert un officieux canal de négociations, qui s’est traduit ces dernières semaines par la libération de prisonniers binationaux par l’Iran et le dégel d’une partie de ses actifs détenus en Corée du Sud. Par ailleurs, Téhéran n’a pas démenti les informations concernant un possible ralentissement de son enrichissement d’uranium. La volonté de détente est donc clairement affichée, même si les analystes doutent qu’elle finisse par aboutir à un Joint Comprehensive Plan of Action revisité dans les prochains mois.
Mais, une fois n’est pas coutume, la production pétrolière semble désormais agir comme un agent facilitateur dans ce rapport de force diplomatique entre les deux pays. Un accord informel sur la production pétrolière semble en effet avoir été mis au point entre Washington et Téhéran. Les autorités américaines ont officieusement admis avoir allégé certaines sanctions concernant les exportations d’hydrocarbures iraniennes, ce qui a permis à l’Iran de restaurer sa production à son plus haut niveau depuis 2018, soit 3 millions de barils par jour en juillet dernier selon l’Agence internationale de l’énergie.
Chose assez rare pour être soulignée, Washington comme Téhéran ont aujourd’hui un intérêt commun : augmenter la disponibilité du brut sur le marché. Ce regain de production a en effet permis de modérer les pris du pétrole, le baril descendant à moins de 85 dollars cette semaine et offrant ainsi un répit aux consommateurs comme aux banques centrales aux prises avec l’inflation. Pour Joe Biden, l’objectif électoral est en effet de conserver le prix du gallon autour des 4 dollars. Pour l’Iran, l’intérêt est de générer une rente pétrolière salutaire dans un contexte de crise économique persistante, sachant que d’ici la fin de l’année, sa production pourrait atteindre 3,6 millions de barils par jour, soit à peine moins que son niveau d’avant mai 2018.
Dans un contexte de grande fragilité pour le marché mondial des hydrocarbures, ce bond des exportations pétrolières est un des signes tangibles du retour de l’Iran sur la scène internationale, alors qu’il s’emploie déjà depuis plusieurs mois à apaiser les tensions avec ses voisins du Golfe Persique et à consolider ses alliances asiatiques.
Pour autant, ce retour en grâce demeure fragile. A ce stade, la question de savoir si l’allègement des sanctions revient de facto à les lever se pose, et du point de vue américain, la réponse est négative. La plupart des anciens clients de l’Iran – la Corée du Sud, le Japon et l’Union européenne – demeurent toujours exclus de ses exportations d’hydrocarbures sous peine de sanctions. Seule la Chine bénéficie d’exemptions qui lui permettent d’importer entre 1,5 et 2 millions de barils produits quotidiennement, un record en dix ans pour l’Iran. Pékin profite de surcroit de prix sacrifiés de la part de Téhéran, ce qui pourrait potentiellement commencer à inquiéter les autres principaux producteurs mondiaux, l’Arabie Saoudite et la Russie, directement concurrencées par une production iranienne abondante et bon marché.
Or, ne compter que sur la croissance chinoise demeure risqué pour l’Iran, compte tenu de sa fragilité. La Chine doit en effet compter avec le chômage croissant des jeunes, une crise dans le secteur immobilier et le système bancaire parallèle, et aurait par ailleurs déjà constitué suffisamment de stock énergétique pour achever l’année.
Par ailleurs, les efforts de désescalade entre les Etats-Unis et l’Iran n’empêchent pas les tensions de perdurer. Ainsi, le régime iranien a dénoncé les signaux contradictoires envoyés par Washington, qui recherche le dialogue direct tout en réfléchissant à de nouvelles sanctions et en saisissant illégalement deux tankers iraniens dans les eaux du Golfe Persique. Pour autant, l’Iran a confirmé officiellement son désir de poursuivre les négociations.
Maintenir ou non le canal diplomatique ouvert avec les Américains constitue actuellement l’un des principaux débats sur la scène politique iranienne, l’aile dure des conservateurs souhaitant une rupture définitive avec les Etats-Unis pour se concentrer uniquement sur l’Asie, tandis que les réformateurs plaident pour une diversification des alliances et le maintien d’un contact avec l’Occident, arguant que le refus de ressusciter plus activement le JCPoAaurait déjà fait perdre près de 100 milliards de dollars à l’Iran. Alors qu’il est en sursis et doit en priorité redresser l’économie pour apaiser la population iranienne, le régime fait désormais face à un choix qui déterminera l’avenir du pays, et par voie de conséquence le sien.
Tous les progrès observés jusqu’à présent démontrent malgré tout une volonté réelle d’apaisement, singulièrement en amont de l’Assemblée générale de l’ONU qui se tiendra le mois prochain et apparaît déjà comme un moment-clé pour de nouvelles annonces. La désescalade pourrait en effet favoriser un dialogue plus large autour de questions stratégiques et politiques – réseau de proxies iraniens, programme balistique et bien sûr nucléaire – qui n’avaient pas trouvé de résolution définitive lors du dernier cycle de négociations officielles il y a bientôt un an. Mais c’est dans un premier temps le rapport très attendu du chef de l’AIEA Rafael Grossi sur l’état d’avancement du programme nucléaire iranien, qui permettra de confirmer ou non si l’Iran a bel et bien ralenti son enrichissement d’uranium. Si elle était officiellement confirmée, cette preuve de bonne volonté iranienne paverait potentiellement la voie à d’autres développements diplomatique positifs.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 03/09/2023.