La descente aux enfers de l’Afghanistan depuis le retrait des États-Unis au mois d’août inquiète les Occidentaux. Les risques d’un soulèvement armé, voire d’une guerre civile sont bien présents. L’administration Biden a été particulièrement pointée du doigt et accusée de retenir la nourriture et les fonds gelés en guise de sanctions, ciblées en théorie contre les dirigeants talibans, mais qui en pratique font souffrir le peuple afghan.
En effet, l’économie afghane, qui dépend principalement de l’aide internationale – le PIB afghan correspondant à hauteur de 43 % à des dons internationaux – s’est effondrée depuis la prise de contrôle du pays par les talibans.
Des sanctions aux effets désastreux
Par ailleurs, la situation économique de l’Afghanistan a été aggravée par l’arrêt des relations entre les gouvernements et les institutions financières internationales, et la décision de ne plus traiter directement avec la Banque afghane en raison des sanctions de l’ONU et des embargos bilatéraux imposés par les États-Unis et d’autres pays. Ces sanctions ont considérablement exacerbé les problèmes de liquidités et de devises au sein du système bancaire afghan, ce qui a inévitablement engendré une flambée des prix.
“L’économie afghane, qui dépend principalement de l’aide internationale – le PIB afghan correspondant à hauteur de 43 % à des dons internationaux – s’est effondrée depuis la prise de contrôle du pays par les talibans”
En raison de la pénurie d’argent liquide, les banques afghanes sont actuellement dans l’incapacité de répondre aux demandes de retrait des particuliers et des organismes d’aide, et de réinjecter les nouveaux dons dans l’économie du pays. Les donateurs du Fonds fiduciaire pour la reconstruction de l’Afghanistan (ARTF pour Afghanistan Reconstruction Trust Fund) ont récemment accepté de transférer 280 millions de dollars (247 millions d’euros) au Programme alimentaire mondial (PAM) et au Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) pour financer l’aide alimentaire et la santé en Afghanistan.
Situation humanitaire catastrophique
Au-delà du plan économique, la situation sanitaire est grave. Selon Humans Rights Watch et l’ONU, la situation économique catastrophique du pays a privé une grande partie de la population de nourriture, d’eau, de logement et de soins de santé. L’ONU et le FMI estiment qu’environ 23 millions d’Afghans – soit la moitié de la population – sont en situation de “crise ou d’urgence en matière de sécurité alimentaire”, et que plus de la moitié de la population sera en danger à mesure que l’hiver himalayen avance. La crise alimentaire en cours pourrait mettre en danger la vie d’un million d’enfants au cours de cet hiver, selon le Programme alimentaire mondial de l’ONU.
“La situation économique catastrophique du pays a privé une grande partie de la population de nourriture, d’eau, de logement et de soins de santé. La crise alimentaire en cours pourrait mettre en danger la vie d’un million d’enfants au cours de cet hiver”
La crise financière a frappé de plein fouet les femmes et les filles, représentant 80 % des déplacés internes depuis août, qui doivent faire face à des obstacles colossaux pour parvenir à se nourrir et à se soigner. En effet, depuis le 15 août, les interdictions établies par les talibans empêchent les femmes de travailler, de faire du sport ou d’aller à l’école secondaire. Les ménages où les femmes étaient les seules sources de revenus ont donc particulièrement été frappés d’un point de vue économique. Les récits de familles ayant vendu leurs enfants, souvent des filles mariées de force, afin de survivre sont de plus en plus fréquents dans les médias. Alors que le gouvernement afghan taliban n’a pas établi de plan clair pour résoudre le problème de la faim, le premier ministre intérimaire des talibans, Mohammad Hasan Akhund, a récemment quant à lui qualifié la famine imminente de “test de Dieu”.
Ainsi, la dernière chance de sauver des vies passe par un réengagement urgent des grandes puissances en Afghanistan, puisque le spectre d’une famine hivernale guette des millions d’Afghans tentant de survivre dans ce pays pauvre et plus que jamais enclavé.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 15/12/2021.