Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle probable ? Alors que le dialogue diplomatique entre les deux pays est aujourd’hui dans l’impasse, l’hypothèse gagne en crédibilité, notamment au vu des mouvements militaires croissants observés de la part de la marine américaine dans la zone indo-pacifique. Les États-Unis ont en effet récemment opéré plusieurs mouvements de leurs groupes aéronavals (carrier strike group, ou CSG) dans cette vaste zone d’influence, indiquant un renforcement de leurs effectifs dans la région. D’ici cet été, le ‘USS Carl Vinson’ – l’un des 11 porte-avions géants de la marine américaine – devrait ainsi remplacer le ‘CSG Ronald Reagan’, missionné au Moyen-Orient pour assurer le retrait des troupes américaines d’Afghanistan avant de revenir stationner dans le Pacifique.
Blocage diplomatique entre Chine et États-Unis
Ces mouvements s’inscrivent dans la continuité de plusieurs manœuvres observées depuis le début de l’année en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan, qui ont à chaque fois suscité de vives réactions de la part de la Chine et une mise en garde de Pékin contre les États-Unis, considérés comme “une force déstabilisatrice dans la région”. Début avril, les autorités chinoises avaient ainsi dénoncé l’opération de “reconnaissance rapprochée” du destroyer ‘USS Mustin’ sur le porte-avions chinois ‘Liaoning’. Preuve du blocage diplomatique, l’état-major militaire chinois s’est jusqu’à présent refusé à rencontrer Lloyd Austin, le secrétaire d’État américain à la Défense de Joe Biden. Washington, pour sa part, considère précisément que l’activisme de la Chine autour de Taïwan, et plus largement sur de nombreux archipels contestés du Pacifique, est une menace directe pour ses intérêts stratégiques et sa sécurité nationale. La multiplication de ces opérations d’intimidation suscite donc plusieurs questionnements et analyses.
“Preuve du blocage diplomatique, l’état-major militaire chinois s’est jusqu’à présent refusé à rencontrer Lloyd Austin, le secrétaire d’État américain à la Défense de Joe Biden”
La zone indo-pacifique voit régulièrement croiser des navires de guerre de toutes nationalités, mais la présence américaine s’est singulièrement accrue depuis deux ans. Sous couvert d’opérations de “liberté de navigation”, Washington fait en réalité des démonstrations régulières de ses forces de frappe – non négligeables et par ailleurs inspirantes d’un point de vue technologique pour les officiels chinois qui y accordent une attention particulière. L’objectif de cette stratégie globale, initiée par l’administration Obama et rebaptisée “Indo-Pacifique” sous l’administration Trump, est bien de signifier à la Chine qu’elle ne pourra pas obtenir de suprématie totale sur une région recelant de précieuses ressources halieutiques et pétrolières et par où transite un tiers du commerce maritime mondial.
Taïwan au cœur de l’ambiguïté stratégique américaine
Précisément, Pékin revendique 80 % de la zone en vertu d’une souveraineté jugée “historique”. Celle-ci se cristallise autour de plusieurs points de friction, dont la plus préoccupante reste bien sûr Taïwan. Il est de notoriété publique que Xi Jinping a fait de la reconquête de Taïwan, l’épine dans le pied de la République populaire de Chine, l’un des principaux objectifs de sa présidence, qu’il entend atteindre bien avant 2049, date du centenaire de la fondation du régime. Pour l’heure cependant, ses capacités militaires et technologiques ne lui permettent pas de reprendre l’île par la force. Et en l’occurrence, la réaction américaine constitue une inconnue de taille dans l’équation chinoise. En vertu du Taiwan Relations Act de 1979, Washington est tenu de fournir à Taipei une assistance logistique et militaire en cas d’agression chinoise. Mais sa réaction en cas d’invasion reste néanmoins sujette à caution, les États-Unis ayant reconnu le principe d’une seule Chine.
“Xi Jinping a fait de la reconquête de Taïwan, l’épine dans le pied de la République populaire de Chine, l’un des principaux objectifs de sa présidence”
Cette “ambiguïté stratégique”, qui a longtemps constitué le cœur du positionnement américain sur la question et continue d’être globalement défendue par l’administration Biden, suscite aujourd’hui quelques clivages en haut lieu. Plusieurs hauts gradés réclament ainsi de Joe Biden qu’il clarifie officiellement sa position sur Taïwan, lui qui a déjà fait plusieurs gestes en faveur de la reconnaissance de la souveraineté de l’île, notamment en faisant condamner par le G7 les manœuvres d’ingérence de la Chine.
À l’inverse, Avril Haines, la nouvelle directrice du renseignement national, estime qu’abandonner l’ambiguïté stratégique déclencherait fatalement les hostilités entre la Chine et les États-Unis, en indiquant clairement leur volonté de limiter l’expansion de la puissance chinoise, et en donnant éventuellement à Taipei, désormais sûr du soutien américain, un blanc-seing pour déclarer son indépendance, casus belli qui déclencherait de facto une réaction militaire de Pékin.
“En vertu du Taiwan Relations Act de 1979, Washington est tenu de fournir à Taipei une assistance logistique et militaire en cas d’agression chinoise. Mais sa réaction en cas d’invasion reste néanmoins sujette à caution, les États-Unis ayant reconnu le principe d’une seule Chine”
Si Taïwan constitue à n’en pas douter l’un des principaux risques de crise entre les deux premières puissances mondiales, d’autres îles et archipels disséminés à travers la zone indo-pacifique pourraient susciter des tensions, notamment avec le Vietnam, les Philippines et le Japon, voire provoquer une réponse immédiate des États-Unis en cas d’agression de la Chine, notamment autour des îles Senkaku, que Washington reconnaît comme territoire japonais.
Quad, une alliance formelle
La stratégie d’endiguement maritime de la Chine par les États-Unis les a d’ailleurs poussés à mettre au point un système d’alliance, baptisé Quad, qui les unit à l’Australie, au Japon et à l’Inde, pour constituer un front anti-chinois dans la région. Au-delà de ce premier cercle, les pays moteurs de l’Union européenne, notamment la France, ont été encouragés à s’y impliquer davantage militairement. Cette union reste pour l’heure plus formelle que réellement active, les principaux pays concernés, et notamment le Japon, préférant encore opter pour un pragmatisme prudent face à la Chine, avec laquelle ils conservent des liens commerciaux non négligeables.
Indo-Pacifique, nouveau théâtre d’opérations
La résolution des divers conflits ou tensions diplomatiques qui les occupent – en Afghanistan, au Moyen-Orient, ou avec l’Iran – couplée à ces manœuvres militaro-diplomatiques tendent à démontrer que les États-Unis ont réorienté leur attention vers un autre théâtre d’opérations, qui promet dans un avenir plus ou moins proche de constituer l’un des principaux sujets de préoccupation de la géopolitique mondiale.
“Les États-Unis ont réorienté leur attention vers un autre théâtre d’opérations, qui promet dans un avenir plus ou moins proche de constituer l’un des principaux sujets de préoccupation de la géopolitique mondiale”
Pour des questions d’intérêt et de temporalité, le moment n’est pas encore propice pour un conflit ouvert entre les deux pays. Mais au-delà des risques d’envenimement du conflit, les possibilités “d’accidents”, involontaires ou orchestrés, dans une région où les tensions militaires s’accentuent de semaine en semaine, ne peuvent être écartées. L’Histoire est prodigue en exemples de ces erreurs de manœuvre, petites étincelles qui ont suffi à embraser des conflits majeurs.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 30/06/2021.