Il y a fort à parier que, le 1er juillet prochain, le gouvernement israélien envisagera de transposer sur un plan pratique sa décision d’annexer les colonies juives de Cisjordanie, soit approximativement 30 pour cent du territoire que les palestiniens revendiquaient pour leur futur Etat. Cela va sans dire que cette annexion mettra irrémédiablement un terme à l’idée qui consistait d’envisager la création d’un Etat palestinien, souverain aux yeux de la communauté internationale et vivant aux côtés d’Israël. Cette étape, la dernière en date de la politique d’extrême droite menée par Netanyahu, met définitivement un scellé sur les rêves d’indépendance de plusieurs millions de palestiniens. Il est vrai que les signes avant-coureurs ne manquaient pas, à commencer par le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem ou encore la reconnaissance par Washington de l’annexion du Golan syrien par Israël.
Or cette annexion des territoires occupés palestiniens mettra tout de même en difficulté Israël dans ses relations avec ses récents alliés de circonstances arabes, en particulier les pétromonarchies du golfe persique. En effet, ces dernières, vivant dans la crainte permanente de l’Iran, se sont rapprochées d’Israël dans l’espoir de profiter de la protection que ce pays pourrait leur apporter face aux menaces, réelles ou perçues, de l’Iran. Partageant de surcroit la même crainte que les Israéliens de voir les révoltes des printemps arabes se transformer définitivement en hiver islamiste, le rapprochement paraissait naturel. Il en allait de même de la suspicion avec laquelle ces pays contemplaient la Turquie d’Erdogan et le Qatar des Al-Thani, protecteurs des Frères musulma
Avec les bouleversements géostratégiques que connait globalement le monde arabo-musulman, de la guerre civile syrienne en passant par l’anarchie libyenne, la cause palestinienne n’occupe plus le devant de la scène médiatique. Il a été donc plus aisé pour les pétromonarchies arabes du golfe persique de détourner le regard du problème palestinien. Or, l’annexion envisagée du 1er juillet risque de changer la donne à un tel point qu’un des chantres du rapprochement Israël-pétromonarchies du golfe persique, l’ambassadeur des Émirats Arabes Unies à Washington, Yousef al-Otaiba, tire la sonnette d’alarme dans un article paru le 12 juin dernier dans les colonnes du quotidien israélien Yediot Aharonot. Dans cet article, Otaiba rappelle que l’annexion israélienne de la Cisjordanie «va certainement et immédiatement bouleverser les aspirations israéliennes à l’amélioration des liens sécuritaires, économiques et culturels avec le mondes Arabe ».
Cette déclaration est d’autant plus surprenante que ce sont ces mêmes pétromonarchies qui, par le biais de la normalisation de leurs liens avec Israël aux dépens des Palestiniens, ont radicalement contribué d’une part à la montée de l’extrême-droite israélienne et d’autre part à cette annexion qu’elles critiquent aujourd’hui. En effet, cette normalisation a permis à Netanyahu de maintenir l’occupation militaire des territoires occupés sans qu’il puisse lui être reproché de mettre davantage en danger la reconnaissance et l’acceptation d’Israël par ses voisins arabes.
La république islamique qui, pour son part, a toujours tenté de faire échouer les multiples efforts antérieurs d’aboutir à une solution négociée au conflit israélo-palestinien, notamment la conférence de Madrid de 1991 ou encore les accords d’Oslo de 1993 est aux aguets. En effet, profitant de l’affaiblissement de la position israélienne sur le plan international, l’Iran ne manquera pas de saisir l’occasion rêvée que lui offre cette annexion afin de renforcer sa position au Moyen-Orient. Rappelons que les principaux acteurs internationaux ont déjà clairement indiqué leur opposition à cette annexion. L’union européenne a d’ores et déjà mis en garde Israël contre cette annexion unilatérale et envisage de sanctionner ce pays. Le candidat démocrate Joe Biden, donné favori lors des élections présidentielles américaines de novembre prochain, y est ouvertement hostile. Même la toute puissante America Israel Public Affairs Committee (AIPAC), le plus puissant des lobbys pro-israéliens aux Etats-Unis, a invité les membres du congrès à exprimer publiquement leurs inquiétudes concernant cette annexion unilatérale. C’est dire…
L’Iran tentera de devenir le fer de lance de l’opposition internationale à l’annexion. Téhéran en se lançant dans cette croisade essaiera par la même occasion de détourner, tant que faire ce peu, l’attention de sa propre population de sa gestion critiquable de la crise sanitaire du COVID-19, de la situation catastrophique de son économie ou encore l’insupportable incompétence et corruption du pouvoir. Certes, le peuple iranien ne sera pas dupe mais cet état de choses donnera à Téhéran la possibilité de radicaliser encore davantage sa position et d’accroitre ses aventures militaires dans la région ou encore renforcer son programme de missile balistique.
Si de surcroît, cette annexion donnait naissance à une troisième intifada, alors Téhéran aura une occasion en or de réclamer le leadership de la défense de la cause palestinienne dans le cœur de la population arabe. Une bombe à retardement pour l’ensemble des régimes arabes!
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 28/06/2020.