Alors que le Haut-Karabakh est toujours sous blocus azéri depuis trois mois, les grandes puissances tentent d’accélérer la voie diplomatique alors que la rhétorique de Bakou se fait de plus en plus belliqueuse et laisse craindre une nouvelle offensive militaire contre les Arméniens.
Les deux pays sont en effet engagés dans un bras de fer concernant le sort des Arméniens du Haut-Karabakh et la levée du blocus en cours sur le corridor de Lachine, seule et unique connexion terrestre entre l’enclave et le reste du monde. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan multiplie les nouvelles demandes dans le cadre des négociations. La plus récente concerne le retour des Azéris « déportés » du Haut-Karabakh après 1918, ainsi qu’après la chute de l’URSS en 1991, lorsque la déclaration d’indépendance du Haut-Karabakh avait initié le premier conflit entre l’Azerbaïdjan et la Russie sur la souveraineté de l’enclave. Près de 200 000 Azéris dits « occidentaux » seraient concernés selon Bakou, qui réclame pour eux les mêmes droits que ceux des Arméniens locaux en vertu du principe de réciprocité. Si sa souveraineté sur l’enclave était reconnue, l’Azerbaïdjan leur promet en effet un statut équivalent à celui de ses propres citoyens, ce dont les autorités arméniennes doutent néanmoins fortement. Erevan a opposé une fin de non-recevoir à cette demande considérée comme une manœuvre politique afin d’amoindrir la portée de ses propres exigences pour les habitants du Haut-Karabakh.
Faute d’obtenir satisfaction pour ses demandes territoriales et ethniques croissantes, Bakou pourrait donc employer de nouveau la force pour régler le problème, comme il l’a fait lors de la « guerre des 44 jours » à l’automne 2020. Tant sur le plan rhétorique que dans les faits, le ton de l’Azerbaïdjan monte en effet dangereusement. Quelques jours avant un échange avec Antony Blinken, Ilham Aliyev rappelait à nouveau très explicitement quel sort devait échoir au Karabakh : être considéré comme territoire azéri, avec la reconnaissance officielle de ce statut par l’Arménie pour signer un traité de paix. L’Azerbaïdjan conditionne donc la sécurité des Arméniens de l’enclave à l’acceptation par l’Arménie de toutes les conditions imposées par Bakou, y compris le travail sur le tracé des frontières.
Seul un renforcement du dialogue entre les deux pays, sous l’égide de puissances extérieures à l’implication plus soutenue, pourrait donc constituer le dernier rempart à la guerre. Tout le processus diplomatique est néanmoins complexifié par l’ouverture de deux principaux canaux : l’un mené par les Européens avec le soutien des Etats-Unis, l’autre par la Russie. L’Iran, en tant que puissance voisine de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (comme la Turquie) est également présent sur l’échiquier de manière plus ou moins officielle. L’Azerbaïdjan comme l’Arménie semblent favoriser davantage les négociations menées sous égide occidentale. Compte tenu de son ancrage dans le Caucase et de la présence de sa propre force de maintien de la paix, la Russie ne peut cependant être tenue à l’écart. Fin mars, Antony Blinken a multiplié les appels téléphoniques aussi bien avec Nikol Pachinian qu’avec Ilham Aliyev, tandis que Sergueï Lavrov recevait son homologue arménien à Moscou. Le Quai d’Orsay prévoirait également une visite officielle dans les deux pays dans les prochaines semaines.
Pour autant, cette agitation diplomatique demeure sans résultats. En dépit de la « pression » de Washington, le président azéri s’est montré inflexible, niant la réalité du blocus, arguant que la Croix-Rouge et la force de maintien de la paix russe pouvaient librement circuler, et accusant l’Arménie d’avoir violé l’accord de 2020 en autorisant la présence de 10 000 soldats arméniens dans l’enclave – chiffre qui ne paraît aucunement sourcé et est donc sujet à caution. Aliyev va jusqu’à rejeter tacitement la responsabilité de l’escalade sur la mission d’observation européenne, dont la présence ne l’arrange évidemment pas et qui servirait, selon lui, de paravent à des transferts d’armes entre l’Arménie et le Haut-Karabakh.
Un processus de négociations équilibré paraît pour l’heure difficile, tant les positions des deux belligérants quant à sa légitimité et ses objectifs sont divergentes. L’Arménie fait en effet de la présence internationale et de la création d’une zone démilitarisée le cœur de ses demandes, afin de garantir les droits et la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh. A l’inverse, l’Azerbaïdjan rejette tout droit de regard extérieur et maintient que le statut de l’enclave doit être décidé uniquement entre ses habitants et Bakou.
Nikol Pachinian a voulu se faire un écho optimiste de la position américaine, en promettant un traité de paix avec l’Azerbaïdjan et l’absence de future escalade. Mais même l’opinion publique de son pays s’est étonnée de cet étrange discours, alors que les signaux d’alarme sont nombreux et alertent politiques et diplomates arméniens, avec raison. L’Azerbaïdjan a en effet déjà démontré qu’il n’hésitait pas à recourir à la force pour régler un différend territorial irrésolu après 30 ans d’efforts diplomatiques via le groupe de Minsk. La guerre de 44 jours avait déjà amorcé ce processus. Aujourd’hui, Bakou rêve de l’achever. Cela appelle une réaction de la communauté internationale, idéalement de manière anticipée.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 16/04/2023.