Alors que les Iraniens étaient appelés aux urnes ce vendredi, ces élections législatives pourraient bien avoir des conséquences géopolitiques internationales, sur fond de levée effective des sanctions qui frappent toujours le pays aujourd’hui.
Vendredi 29 avril, les électeurs iraniens se sont de nouveau rendus aux urnes afin de participer au deuxième tour des élections parlementaires. Des 290 sièges en jeu, 68 sièges restaient encore à pourvoir, soit presque un quart des sièges. Il s’agissait des circonscriptions, dont celles des villes de Shiraz et de Tabriz, où aucun candidat n’a pu recueillir le score minimal de 25%. Lors des élections du premier tour, le 26 février dernier, les candidats réformateurs se revendiquant du courant du Président réformateur Rouhani se sont vus attribuer 95 sièges alors que les candidats conservateurs ont remporté 103 sièges.
C’est dire si l’enjeu de ce second tour est de taille puisqu’en fonction du camp qui emportera le plus de sièges, la majorité parlementaire pourrait basculer et revêtir une couleur différente. Les réformateurs ont besoin de remporter 51 des 68 sièges à pourvoir pour contrôler le pouvoir législatif. Avec les candidats d’ores et déjà élus ayant concouru sous une étiquette d’indépendants mais se revendiquant quand même du camp de la réforme, le Président Rouhani pourrait, en cas de victoire, disposer de la majorité parlementaire nécessaire pour réaliser sa politique de réforme.
Or, rien n’est moins sûr. En effet, l’administration Rouhani a de plus en plus de mal à convaincre la population iranienne que sa stratégie qui consistait à mettre fin aux sanctions internationales en abandonnant la quête du nucléaire produira des effets concrets dans le développement économique du pays. Elle est fragilisée. En effet, les Iraniens n’ont pas vu les bienfaits économiques anticipés en plus de 3 mois depuis l’implémentation de l’accord nucléaire du 14 juillet dernier. Malgré la nouvelle possibilité octroyée aux banques non américaines de participer au financement des opérations en Iran, rares sont les banques européennes ou asiatiques qui se sont risquées à engager l’Iran. Cela signifie que la plupart des accords commerciaux annoncés à l’occasion de la visite du Président Rouhani en France fin janvier dernier sont restés lettres mortes faute de financement. Les banques européennes restent tétanisées par l’affaire de la BNP Paribas qui s’est vu imposer une amende de 9 milliards de dollars pour avoir assuré un flux financier en dollars avec l’Iran.
A vrai dire, s’il est vrai que les sanctions frappant l’Iran du fait du nucléaire ont été levées, les sanctions américaines, en revanche, sont restées intactes. Outre celles qui frappent des personnes physiques ou morales iraniennes nommément désignées comme la première compagnie aérienne du pays ou la deuxième banque nationale, des transactions en dollars par le biais du système financier américain restent interdites. Sachant que 98% des flux en dollars passent par New York, de fait aucune transaction en dollars ne peut voir le jour avec l’Iran. Les banques non américaines ont donc, par crainte de voir leur responsabilité pénale ou civile engagée, tout simplement refusé de traiter avec l’Iran. Ceci a pour conséquence de priver l’Iran des bienfaits économiques qu’il espérait récolter du fait de la levée des sanctions. Avec pour conséquence inéluctable de mettre à mal tant la crédibilité du courant de la reforme incarnée par Rouhani que les chances de l’intégration économique du plus grand pays émergent non encore émergé.
Ce constat a amené le guide de la révolution iranienne, l’Ayatollah Khamenei, l’autorité en dernier ressort du pays, à déclarer ce mercredi que les Américains n’ont levé les sanctions que sur le papier. L’affaire de la confiscation de 2 milliards de dollars d’actifs de la banque centrale iranienne au mépris du principe d’immunité des banques centrales à l’issue d’une décision de la Cour Suprême américaine a même incité le Président Rouhani à qualifier la chose de “hold up”. La frustration des autorités iraniennes ne fait que traduire l’anxiété qu’un échec éventuel du camp de la réforme engendrerait dans les élites iraniennes. Le temps joue contre les réformateurs. D’ici six mois auront lieu les élections américaines et rien ne présage de l’avènement d’un Président favorable à l’Iran, ni chez les Démocrates, ni chez les Républicains. Pareillement, en 2017 aura lieu en Iran l’élection présidentielle. Ainsi, si dans les mois à venir l’obstacle du financement bancaire n’est pas réglé, le paysage politique en Iran risque de changer pour le pire avec les conséquences régionales que cela pourrait entraîner à Damas, Bagdad, Beyrouth, Sana’a ou ailleurs. Des conservateurs hostiles au retour de l’Iran dans la communauté internationale, comme l’ancien Président Ahmadinejad, se préparent à un retour aux affaires.
Lors d’un récent échange que j’ai eu avec les responsables du bureau des sanctions du département du trésor américain (Office of Foreign Asset Control ou OFAC), je me suis vu rétorquer que si les sanctions américaines restent en place, il y a bien une raison. Cette raison, quelle qu’elle soit, risque de faire déraper le processus du retour du géant qu’est l’Iran dans le concert des nations.
Pour le pire.
Cet article est paru sur le site Atlantico