L’état de siège que l’Azerbaïdjan impose au Haut-Karabakh depuis décembre dernier semble prendre une orientation explicitement belliciste, si l’on en juge par la rhétorique employée ces dernières semaines par les médias azéris. Le patron de la télévision d’État a ainsi déclaré publiquement que Bakou était en droit de conduire « une opération anti-terroriste » au Haut-Karabakh, dont le nom de code pourrait être « Revenge 3 », en référence à l’opération éclair d’août 2022 où l’Azerbaïdjan avait annexé de nouvelles parties de l’enclave suite au décès d’un soldat azéri.
La possibilité d’une nouvelle attaque militaire de grande ampleur suit la série d’incidents frontaliers qui se sont multipliés ces derniers mois entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et qui ont entraîné plusieurs morts au sein des forces armées des deux pays. Qualifiés de « provocations arméniennes » par Bakou, ces évènements alimentent la recherche de prétextes pour engager une annexion définitive du Haut-Karabakh, sous couvert de désarmement de « groupes militaires et paramilitaires arméniens de l’enclave », qui désignent en réalité l’Armée de défense de l’Artsakh. Le président Ilham Aliyev estime d’ailleurs publiquement que ces démantèlements sont un prérequis indispensable à la mise au point d’un accordde paix avec l’Arménie.
L’escalade se poursuit donc en raison de la stagnation des négociations entre les deux pays et de l’échec des deux processus de paix engagés parallèlement par les Occidentaux et la Russie avec les deux belligérants. Chacun campe en effet sur des positions extrêmement fermes et non négociables. Bakou estime que le Haut-Karabakh devrait faire intégralement partie du territoire azéri, exigence de surcroit validée par sa victoire en novembre 2020 grâce à l’appui logistique et tactique de la Turquie. A travers les autorités du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan vise avant tout l’Arménie qu’il accuse d’utiliser les communautés arméniennes de l’enclave pour organiser des manœuvres de déstabilisation, puisque celles-ci refusent de devenir citoyens azéris. L’Arménie pour sa part a su faire preuve de bonne volonté diplomatique, puisque le Premier ministre Nikol Pachinian avait clairement signifié en mai dernier qu’Erevan serait prête à reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh, précisément en échange de garanties sur la sécurité et le statut des Arméniens de l’enclave, qui ne bénéficient plus depuis des mois de conditions d’existence normales et vivent au quotidien avec la menace constante de l’exil ou du nettoyage ethnique.
Pour l’heure, le combat de deux légitimités, à l’origine du différend territorial entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, se poursuit donc inlassablement et risque fort de ne trouver comme instrument de résolution que la guerre. Certains analystes en doutent encore et évoquent une forme de « diplomatie coercitive » employée par l’Azerbaïdjan pour faire plier sa voisine, qui combine des épisodes de violences avec le maintien du canal diplomatique tant que les négociations se poursuivent. Or, pour l’heure c’est la violence qui prédomine à mesure que l’étau se resserre sur la population arménienne de l’enclave. Alors qu’un nouveau blocus du corridor de Lachine empêchait l’entrée des convois humanitaires, ce sont désormais les véhicules de la Croix-Rouge qui ne peuvent absolument plus pénétrer dans le Haut-Karabakh depuis le 11 juillet, sous prétexte d’opérations illicites de contrebande venant d’Arménie.
En frappant directement la population de l’Artsakh, et non les forces armées, ces mesures de coercition révèlent en réalité leur objectif véritable : une tentative accélérée de détruire le gouvernement autonome de la province et de forcer l’annexion totale du territoire, faute d’avancées concrètes dans les négociations. Au demeurant, le président du Haut-Karabakh Arayik Harutyunyan semble parfaitement conscient de la séquence politique telle que l’Azerbaïdjan souhaite l’imposer à l’Arménie : démanteler l’armée de l’Artsakh, ce qui reviendra de facto à détruire le système institutionnel autonome de l’enclave, organiser une parodie d’élections municipales, avant de rouvrir l’accès au corridor de Lachine et de rétablir les conditions de vie des résidents arméniens, devenus de fait des citoyens azéris.
Deux médiations, celle de la Russie et celle des Européens sous l’égide des Etats-Unis, sont pourtant ouvertes depuis plusieurs mois et travaillent parallèlement. Leurs résultats sont maigres, les appels multiples de l’Union européenne comme les échanges directs entre Antony Blinken et Ilham Aliyev péchant tous deux par leur inefficacité, tandis que les forces de maintien de la paix russes n’ont eu jusqu’à présent aucun pouvoir pour empêcher les blocus successifs et les abus de l’Azerbaïdjan. De guerre lasse, le gouvernement de l’Artsakh a sollicité directement Vladimir Poutine par l’intermédiaire de l’Arménie, pour l’appeler à agir et obtenir une levée du blocus azéri. En l’attente, la situation des Arméniens du Haut-Karabakh est déjà jugée comme ayant atteint un stade critique.
Alors que s’approche le troisième anniversaire de la « guerre des 40 jours », il est permis de penser que la « diplomatie coercitive », loin de faire évoluer le rapport de force en direction d’un traité de paix avec l’Arménie, prépare en réalité le dernier acte de l’annexion du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan. Ce n’est plus qu’une question de temps, et encore une fois, l’assurance de l’Azerbaïdjan démontre la faiblesse ou l’indifférence des grandes puissances sur ce dossier.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 16/07/2023.