“Que Dieu vienne en aide au Liban.” Ces mots viennent du Premier ministre Saad Hariri qui, après neuf mois de tentatives infructueuses pour former un gouvernement de crise, a préféré démissionner. En quittant son poste, il laisse effectivement son pays au bord du chaos le plus total, et il n’y a plus guère que la Providence divine pour venir au secours d’un État hier considéré comme l’un des rares pôles de stabilité au Moyen-Orient, devenu aujourd’hui un État failli à l’effondrement d’une ampleur sans précédent. Explosion du chômage, cours de la monnaie au plus bas, banques insolvables, biens de première nécessité hors de prix et pénuries de médicaments et d’essence structurent désormais le quotidien des Libanais qui s’appauvrissent de jour en jour.
“Le Premier ministre Saad Hariri, après neuf mois de tentatives infructueuses pour former un gouvernement de crise, a préféré démissionner.”
Comment en est-on arrivé là ? C’est là une question maintes fois posée, et dont la réponse reste invariablement la même : crises politiques à répétition, corruption endémique de l’élite politique et économique, assassinats et pressions extérieures… La mise en accusation de Riad Salamé, le président de la Banque centrale du Liban, qui aurait amassé une fortune colossale à l’étranger, cristallise ces explications, tout comme la colère des Libanais qui le tiennent pour responsable de l’effondrement de l’économie et des pénuries qui les frappent de plein fouet.
Clientélisme politique du président Michel Aoun
Ce sont aussi les tractations clientélistes et les ambitions personnelles qui ont eu raison des efforts de Saad Hariri. Durant ses neuf mois au pouvoir, l’ex-Premier ministre a présenté un nouveau cabinet près de 18 fois au président Michel Aoun, qui a systématiquement rejeté ces projets d’équipes composées de 24 personnes représentant à parts égales les principales confessions religieuses du Liban – sunnites, chiites et chrétiens. En la matière, Michel Aoun est notoirement connu pour subir l’influence de son gendre et actuel ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, qui ambitionne de lui succéder.
“L’ex-Premier ministre a présenté un nouveau cabinet près de 18 fois au président Michel Aoun, qui a systématiquement rejeté ces projets d’équipes”
Ses exigences en faveur de la communauté chrétienne – de nombreux postes ministériels et un droit de veto étendu – formulées au mépris de l’équilibre politique voulu par la Constitution libanaise – qui répartit les principaux rôles politiques en attribuant la fonction de président à un chrétien, celle de Premier ministre à un sunnite et celle de président du Parlement à un chiite – ont naturellement poussé Saad Hariri à jeter l’éponge. C’est précisément cette répartition politique, héritée de la fin de la guerre civile, que Bassil souhaiterait remettre en question, afin de favoriser davantage sa communauté et s’assurer une clientèle fidèle pouvant le soutenir lors des prochaines élections. Il en aurait en effet bien besoin, lui qui incarne sans doute le politicien le plus unanimement détesté du Liban. Qu’il contribue, ce faisant, au chaos, et se prépare à gouverner un pays en ruine ne semble guère le préoccuper.
Panique de la société civile
Aujourd’hui, le départ de Saad Hariri, bien qu’il soit peu aimé, a entraîné un véritable sentiment de panique au sein de la population libanaise. La crainte d’une nouvelle guerre civile – les souvenirs de la précédente sont encore vifs dans les mémoires – se fait de plus en plus présente, tandis que la classe populaire menace d’user une nouvelle fois de son seul recours, la manifestation et la rue, pour lutter contre cet état de fait et renverser une classe politique toujours aussi préoccupée de ses seuls intérêts. Face à une situation économique et politique de plus en plus sombre, les possibilités de négociations avec la communauté internationale et le FMI vont également se réduire comme peau de chagrin.
En attendant les élections de 2022…
Une sortie de crise est-elle seulement possible ? La Constitution prévoit, en cas de vacance au poste de Premier ministre, la tenue d’une session extraordinaire des membres du Parlement à la demande du président de la République, afin de désigner un nouveau Premier ministre. Mais qui voudrait remplacer Saad Hariri dans un tel contexte ? Il est possible que Hassan Diab, qui avait pourtant démissionné à la suite de l’explosion du 4 août 2020 à Beyrouth, assure l’intérim, mais sans réel pouvoir ni capacité à gérer la crise, ou à négocier une énième aide financière d’urgence avec les puissances occidentales et arabes.
“Tout peut arriver, y compris une nouvelle guerre civile nourrie par l’effondrement de l’économie et le risque, très réel, de famine et d’une explosion sociale renforcée par la colère d’ordre confessionnelle des sunnites”
Il faudra donc tirer sur la corde jusqu’aux prochaines élections, prévues au printemps 2022. Dans l’attente, tout peut arriver, y compris une nouvelle guerre civile nourrie par l’effondrement de l’économie et le risque, très réel, de famine et d’une explosion sociale renforcée par la colère d’ordre confessionnelle des sunnites, scandalisés par le départ de Saad Hariri.
La main de l’Iran
Le blâme de la situation retombe également sur le Hezbollah, pour l’heure bien en peine de proposer un autre candidat sunnite aussi complaisant qu’Hariri à son égard. De fait, le mouvement chiite n’a exercé aucune pression sur le président Aoun pour accepter un nouveau gouvernement, faute d’obtenir suffisamment de concessions en retour. Mais derrière le Hezbollah, c’est bien sûr la main de l’Iran que l’on devine, qui a tout intérêt à maintenir le chaos au Liban afin d’en user comme argument face aux États-Unis dans les négociations sur le nucléaire iranien à Vienne.
“Derrière le Hezbollah, c’est bien sûr la main de l’Iran que l’on devine, qui a tout intérêt à maintenir le chaos au Liban afin d’en user comme argument face aux États-Unis dans les négociations sur le nucléaire iranien à Vienne”
Téhéran conditionnerait volontiers une sortie de crise au Liban – ce que la République islamique est parfaitement capable de mettre en œuvre très rapidement – à un assouplissement de la position américaine vis-à-vis de ses proxies au Moyen-Orient et de son programme balistique. Malheureusement, le statu quo perdurera, en raison du refus catégorique des Américains de céder à un tel marchandage.
Bientôt des sanctions internationales ?
Pour résoudre la crise libanaise, Occidentaux et puissances arabes de la région semblent pencher en faveur, non pas de la candidature de Gebran Bassil, au demeurant sous le coup de sanctions américaines pour corruption dans le cadre du Magnitsky Act, mais du chef des armées Joseph Aoun à la tête d’un mouvement issu de la société civile. En outre, les Occidentaux persistent à conditionner toute aide financière à l’assurance que celle-ci ira bien à la reconstruction du pays, et non à l’engraissement d’une élite politique corrompue.
“La démission d’Hariri devrait démontrer de façon éloquente aux Occidentaux que sans sanctions attribuées de façon collégiale à l’ensemble de la classe politique libanaise, aucune sortie de crise ne sera possible”
La démission d’Hariri devrait démontrer de façon éloquente aux Occidentaux que sans sanctions attribuées de façon collégiale à l’ensemble de la classe politique libanaise, aucune sortie de crise ne sera possible. On ne peut donc qu’espérer un sursaut de la part de l’Union européenne, qui devrait annoncer de telles mesures d’ici la fin du mois.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 21/07/2021.