Tout partait pourtant sur une note d’espoir. Le 6 août 2020, Emmanuel Macron était le tout premier chef d’Etat étranger à se rendre à Beyrouth après l’explosion qui avait dévasté une partie de la ville, faisant 200 morts et plusieurs milliers de blessés. Il était alors apparu comme un sauveur providentiel auprès des Libanais désespérés par la situation de leur pays, et plus encore exaspérés par la défaillance d’une classe politique jamais renouvelée depuis la fin de la guerre civile. Tous les espoirs de changement reposaient alors sur la France, l’ancienne puissance coloniale qui s’est souvenue dans ce moment de crise avoir un droit de regard privilégié sur la situation et l’avenir de son ancien protectorat. C’est d’ailleurs elle qui, depuis plus de 30 ans, jouait le rôle d’honnête courtier entre le Liban et la communauté internationale pour l’obtention d’aides financières vitales à la survie de l’économie libanaise. La feuille de route d’Emmanuel Macron pour « sauver » le Liban et résoudre ses nombreux problèmes économiques et politiques se basait ainsi sur la formation dans les quinze jours d’un gouvernement composé d’experts indépendants, à même de mettre en place les réformes structurelles nécessaires – notamment dans le secteur de l’énergie – et regagner ainsi la confiance des bailleurs internationaux.
Près d’un an après le lancement de ce plan de sauvetage, la situation du Liban n’a évolué en rien : les prix des biens de première nécessité sont toujours aussi élevés, l’essence se fait de plus en plus rare et même l’armée, engagée sur deux fronts – la surveillance de frontières parmi les plus conflictuelles du monde et la gestion de la crise intérieure – menace de ne plus être apte à assurer ses missions.
Un tel échec n’est pas surprenant. La France, qui pouvait utilement tirer profit de l’accident de Beyrouth et du soutien populaire pour imposer de véritables réformes, n’a pas su faire preuve de courage politique. Dans l’application de sa feuille de route, le président français a en effet commis une erreur fatale : s’appuyer sur une classe politique libanaise qui avait pourtant largement donné la preuve de son incompétence et de sa corruption, au lieu de la congédier sans état d’âmes. « Pas de chèque en blanc », disait-il alors pour rappeler que l’aide internationale serait conditionnée à l’engagement de réformes. Mais n’était-il pas naïf de confier la réforme d’un pays en crise à cette même élite conspuée depuis l’automne 2019 par le peuple libanais, responsable de la paralysie du pays, et certainement peu à même de susciter un changement qui réduirait sévèrement ses prérogatives et ses intérêts ?
Sans surprise, cette classe politique mise en face de ses responsabilités a choisi non seulement de n’engager aucune réforme, mais aussi de torpiller autant que possible tous les efforts mis en œuvre pour les initier. Elle aura même empêché la formation d’un gouvernement par intérim, une condition préalable aux négociations avec le FMI pourtant indispensable, et n’a certainement pas donné son aval à l’organisation d’élections anticipées. Les mêmes manœuvres politiciennes, clientélistes ou népotiques, ont été observées, et à cet égard, en refusant d’en sanctionner les membres le plus sévèrement possible, la France a définitivement péché par naïveté. Le problème est qu’une telle erreur aura des conséquences destructrices.
La question de savoir pourquoi la France n’a pas choisi de s’appuyer sur la communauté maronite – à laquelle appartient le Président Michel Aoun – communauté avec laquelle elle conserve pourtant les liens les plus étroits pour des raisons historiques, reste à ce jour une énigme. Cela a en tout cas laissé le champ libre à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, l’un des politiciens les plus unanimement détestés du Liban, si corrompu qu’il a été sanctionné par les Etats-Unis dans le cadre du Magnitsky Act, pour accentuer sa pression sur son beau-père, le président Aoun, dont il rêve d’occuper le poste, fusse-ce au détriment de la survie de son propre pays. Nombreux sont les observateurs libanais à souligner que cette proximité familiale et politicienne coûte cher au Liban. Pour autant, la France n’a pas su agir rapidement et efficacement. Son attentisme a au contraire permis à l’élite politique libanaise de jouer la montre pour laisser la pression populaire, pourtant intense après l’accident du 4 août, s’essouffler, et pour laisser la situation économique empirer, acculant in fine l’Occident à son devoir d’assistance via un énième plan d’aide financière d’urgence qui ne résoudra aucun des problèmes de fond, nourrissant au contraire le cercle vicieux dans lequel le pays reste désespérément enfermé sans espoir de sortie. L’autre problématique à prendre en compte, si elle n’explique pas à elle seule le blocage politique, reste bien sûr l’influence de l’Iran via le Hezbollah. La situation au Liban restant l’un des arguments des Iraniens dans le cadre de leurs négociations avec les Etats-Unis sur l’avenir du JCPoA, il semblerait que rien n’avancera avant une résolution de ce dossier.
Dans le cas du Liban comme pour de nombreux autres sujets diplomatiques, il en va désormais de la responsabilité de la France pour prendre les sanctions qui s’imposent à l’égard des politiques libanais. Néanmoins, la mise en place fin avril par Paris de restrictions d’accès au territoire français pour les politiques libanais, des sanctions jugées des plus légères par les analystes, n’est pas apparue comme une réponse à la hauteur de la gravité de la situation. Face à la défaillance française, reste en dernier recours l’Union européenne, qui a ouvert depuis quelques semaines des discussions techniques autour d’un régime de sanctions, à l’image de celui mis en place contre le président biélorusse Loukachenko. Dans l’attente, acculée à la fois par l’échec de sa stratégie et par l’incurie de la classe politique libanaise, la France n’a d’autre choix que d’endosser une fois de plus son rôle de pèlerin humanitaire pour rassembler une aide internationale censée soutenir les services de base des Libanais. Que le Liban soit toujours dépendant de la générosité et de la compassion internationale, au lieu d’avoir été véritablement aidé à prendre son destin en main en favorisant l’émergence d’une nouvelle classe politique issue de l’opposition, est sans doute la preuve la plus éloquente et dramatique de l’échec français pour résoudre cette crise.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 04/07/2021.