Le président turc semble vouloir, à tout prix, transposer, à la lettre, le passé ottoman dans la Turquie moderne et ne cesse d’y oeuvrer grâce des gestes symboliques.
Depuis plusieurs années le mot d’ordre à Istanbul semble être le néo-ottomanisme. Les observateurs et politiques européens voient dans la volonté nostalgique du président turc de puiser dans la gloire passée de son pays une nécessité a sa survie politique. En effet, avec une économie en pleine récession, les investissements étrangers à l’arrêt, une monnaie dévalorisée, une capitalisation boursière en chute libre et un déficit budgétaire qui ne cesse de s’alourdir, Erdogan a peu à montrer pour sa présidence ces dernières années. Les urnes commencent d’ailleurs à le lui rappeler, en témoigne le succès de l’opposition lors des élections du maire d’Istanbul.
Or s’il y a un domaine où il semble exceller et qui lui permet de séduire et d’exalter sa base électorale c’est celui du rappel de la grandeur passée de son pays qui s’exprimait par le biais de trois axes, celui de la religion, de l’aventurisme militaire extérieur et par l’autoritarisme. Le président turc semble vouloir, à tout prix, transposer, à la lettre, le passé ottoman dans la Turquie moderne et ne cesse d’y oeuvrer grâce des gestes symboliques
A l’occasion de l’avènement de la nouvelle année musulmane, il a transformé en mosquée la cathédrale mythique de Byzance, la sainte Sophie et l’église Chora et y a célébré lui-même la prière collective de la nouvelle année. Ce geste qui théoriquement visait à rappeler la conquête musulmane sur Byzance et la suprématie de cette religion sur le christianisme, souligne également le peu d’égard qu’avait l’empire Ottoman pour ces minorités éthniques et religieuses. Le traitement inhumain subi par la minorité alévie chiite et en particulier par les Kurdes démontre parfaitement la transposition dans la continuité de la politique ottomane par Erdogan.
Outre la répression des minorités, Erdogan a aussi retenu la leçon de l’expansionnisme territorial des Ottomans. Ainsi, on voit de nouveau les bâtiments turcs perpétrer des actes de piraterie. Les récents heurts, en Méditerranée orientale, avec les marines grecques et françaises traduisent cette volonté hégémonique turque sur les théâtres des conflits antérieurs vieux de plusieurs siècles. De même, l’aventurisme turc en Syrie et en Libye participe du même esprit néo-Ottoman provoquant au passage l’union européenne. En effet, la Turquie semble n’avoir aucune inhibition à chercher des querelles avec ses partenaires grecs et français de l’Otan, ni d’état d’âme à s’immiscer dans la politique de l’UE, la menaçant d’ouvrir les vannes migratoires au départ de son territoire. Pire encore, la Turquie, grâce à sa présence militaire en Libye, contrôle directement à la source la vanne de l‘immigration sub-saharienne.
Il ne déplaira surement pas à Erdogan de se faire sacrer Sultan Ottoman, Calife des croyants, avec une volonté farouche de replacer Istanbul de nouveau à la tête du monde musulman. C’est ainsi que le président turc ne cesse de valoriser le Sultan Selim, grand sultan ottoman, qui en conquérant l’empire des Mameluks d’Égypte, avait permis à son pays de devenir pour la première fois, en 1517, un pays à majorité musulman. C’est ce symbolisme d’association avec l’image du Sultan Selim qui a d’ailleurs mis la Turquie en confrontation frontale avec l’Arabie Saoudite qui s’octroie le titre de chef de la communauté des musulmans de par la présence des deux lieux saints de l’Islam sur son territoire, à savoir la Mecque et Médine. Le diffusion en compte goute des informations ayant trait à l‘assassinat odieux de Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul a participé de son effort de saper l’aura de Riad dans le monde en général et dans le monde musulman particulier.
L’attrait du président turc pour le grand Sultan Selim traduit aussi son engouement pour l’autoritarisme qu’il ne cesse de manifester avec un traitement pour le moins restrictif de la liberté de la presse et e l’indépendance du pouvoir judiciaire.
En se faisant qualifier de petit fils et non de fils des Ottomans, il saute une génération, celle de Mustafa Kamal Atatürk et son rêve d’une Turquie séculière et moderne. Depuis 1923 et l’avènement de la Turquie moderne, il est le seul chef de l‘exécutif qui se revendique du passé ottoman alors que tous ses prédécesseurs aspiraient à la modernité. Le fait qu’il transpose à la lettre le passé dans le présent, vient envenimer ses relations avec les pays voisins.
L’empire Ottoman n’a pas laissé qu’un souvenir folklorique, pour s’en convaincre suffit d’interroger les Arméniens, Grecs ou Bulgares.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 06/09/2020.