Plus d’une semaine s’est écoulée depuis que l’Iran a soumis aux États-Unis ses nouvelles remarques sur le “texte final” d’un potentiel accord nucléaire, pourtant aucun retour de Washington n’a pour l’heure été rendu public [les États-Unis ont finalement réagi le 13 septembre dans un communiqué transmis à l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), indiquant qu’“il faut que l’Iran fasse preuve de bonne volonté”, ndlr]. Les négociations semblent être de nouveau entrées dans une phase de stagnation, qui laisse décidément douter de la volonté des signataires de l’accord de Vienne originel de le ressusciter.
Nouvelle mouture de l’accord sur le nucléaire iranien en attente
Les Occidentaux invoquent en premier lieu l’ultime concession demandée par Téhéran avant d’accepter le texte, à savoir l’abandon par l’AIEA de l’enquête qu’elle mène sur ses sites nucléaires non déclarés. Bien qu’Ebrahim Raïssi ait publiquement estimé que l’accord nucléaire n’aurait aucun sens sans la clôture de cette enquête, il paraît pourtant difficile d’imaginer que l’agence atomique, dépendante de l’ONU, accepte d’abandonner l’une de ses missions essentielles. Pour les Européens, le manque de coopération récurrent de l’Iran avec l’AIEA signe un manque d’engagement et de transparence, et installe un doute réel sur son besoin d’un accord.
Crise diplomatique avec l’Albanie, membre de l’Otan
Ce ralentissement intervient de surcroît dans un contexte particulier qui a vu l’Albanie rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran, soupçonné de cyberattaques organisées cet été contre ce pays membre de l’Otan, donc allié des signataires occidentaux du JCPoA. Les relations entre les deux pays ont toujours été difficiles en raison de la présence en Albanie de l’Organisation des moudjahidines du peuple (MEK), mouvement de résistance armée au régime de la République islamique d’Iran, qui s’y est réfugié depuis dix ans.
“Téhéran considère en l’espèce le gouvernement albanais comme un proxy des États-Unis et même d’Israël, deux pays que l’Albanie courtise activement dans son propre intérêt”
Téhéran considère en l’espèce le gouvernement albanais comme un proxy des États-Unis et même d’Israël, deux pays que l’Albanie courtise activement dans son propre intérêt. Sans surprise, Israël n’a pas manqué de prendre parti pour l’Albanie dans cette crise diplomatique afin de consolider la pression internationale contre l’Iran, et éviter la signature d’un nouvel accord nucléaire.
La stratégie de Joe Biden pour les mid-term
À cet égard, le silence pesant qui entoure désormais les négociations tiendrait surtout à l’approche d’un mois de novembre électoralement capital à la fois pour l’État hébreu et, une semaine plus tard, pour les États-Unis. Si la rupture diplomatique entre Tirana et Téhéran n’influençait pas Washington de manière décisive, Joe Biden craindrait néanmoins qu’elle vienne nourrir les arguments de ceux qui prônent la manière forte et le refus de toute entente avec l’Iran, à savoir les républicains, mais aussi les lobbies pro-israéliens. Le président démocrate préférerait donc ajourner la normalisation des relations avec Téhéran après les élections de mid-term, de crainte de fournir des arguments faciles à son opposition, preuve s’il en est que décidément, l’entente avec l’Iran demeure un sujet extrêmement clivant outre-Atlantique.
“Joe Biden préférerait ajourner la normalisation des relations avec Téhéran après les élections de mid-term, de crainte de fournir des arguments faciles à son opposition, preuve s’il en est que l’entente avec l’Iran demeure un sujet extrêmement clivant outre-Atlantique”
Les officiels israéliens ont semblé corroborer ce calendrier, ce qui laissera encore du temps aux contempteurs traditionnels du JCPoA pour militer en faveur d’un abandon total du texte. Le Premier ministre Yaïr Lapid n’a d’ailleurs pas dit autre chose en déclarant qu’Israël “menait une campagne diplomatique réussie pour stopper l’accord nucléaire et éviter la levée des sanctions contre l’Iran”, ajoutant que rien n’était encore fini et que la route était longue, mais qu’il y avait des signes encourageants en ce sens…
Menaces sur un accord à l’utilité pourtant majeure
Depuis la reprise des négociations en avril 2021, l’accord sur le nucléaire a été constamment le jouet des circonstances : ajourné lors de l’élection présidentielle iranienne, ralenti par le rapport de forces constant entre l’Iran et les États-Unis à l’automne dernier, par les demandes parfois disproportionnées de Téhéran et par les atermoiements des Occidentaux – et même des Iraniens – envers la survie d’un accord dont certains doutent encore qu’il ait une quelconque utilité. Celle-ci est pourtant majeure à plusieurs égards. Outre le soulagement qu’un retour de l’Iran dans le concert des nations procurerait à sa propre économie, on sait que Téhéran représente une solution non négligeable dans la crise énergétique que les Européens traversent, conséquence directe de la guerre en Ukraine et de leur bras de fer avec Moscou. Enfin, sur la question de la non-prolifération nucléaire, on ne peut que rappeler que seul l’accord de Vienne avait été à même de contraindre radicalement le programme nucléaire iranien durant les trois années où il fut en vigueur.
“Depuis avril 2021, l’accord sur le nucléaire a été constamment le jouet des circonstances : ajourné lors de l’élection présidentielle iranienne, ralenti par le rapport de forces constant entre l’Iran et les États-Unis par les demandes parfois disproportionnées de Téhéran et par les atermoiements des Occidentaux”
Le fait que les élections américaines et israéliennes deviennent les nouveaux marqueurs temporels des négociations sur le nucléaire iranien est une mauvaise nouvelle. Le front anti-iranien pourrait en effet sortir renforcé par une défaite des démocrates aux élections de mid-term et par une reconduction – probable – de la droite nationaliste israélienne à la Knesset. Dès lors, la survie de l’accord de Vienne pourrait s’en trouver singulièrement compromise. Certes, accord ou non, l’Iran demeurera désormais un “État du seuil”, capable de mettre au point une bombe atomique s’il le décide. Il n’en reste pas moins que la République islamique, une fois signataire du texte de 2015, avait tenu ses engagements et accepté de ne pas poursuivre son développement technologique. Rien ne prouve qu’une telle configuration ne se reproduira pas en cas de signature d’un nouvel accord, qui demeure plus que jamais nécessaire. Encore faut-il laisser une chance à la diplomatie, ce qui dépend ici d’une véritable volonté politique de la part de tous les signataires. À cet égard, ce nouveau retard n’augure rien de positif.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 14/09/2022.