La grave crise de l’eau qu’il subit sera t-elle l’étincelle qui embrasera de nouveau l’Iran et le poussera à la révolte contre la République islamique ? Ajoutée à la cinquième vague de Covid-19 qui ravage le pays et aux conséquences des sanctions économiques américaines, cette problématique, qui n’a pourtant rien de nouveau et aurait pu être largement anticipée face à l’accélération du changement climatique, pourrait en effet coûter sa stabilité au régime, et cette fois de manière plus radicale.
Certes, depuis quarante ans, on prédit sa chute à chaque mouvement social. Et jusqu’à présent, malgré de multiples avertissements, le régime s’est maintenu en dépit de l’adversité. Mais l’accumulation de crises diverses subies par l’Iran ces trois dernières années atteint désormais un tel point de gravité que l’hypothèse d’une nouvelle révolution gagne chaque jour en crédibilité.
Depuis plus de dix jours, la province du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays, est devenue l’épicentre de violentes manifestations venant en grande partie de la minorité arabe de la province, qui regroupe l’essentiel des citoyens arabes d’Iran, souvent discriminés et adeptes d’une ligne séparatiste. Pour autant, là n’est pas le cœur de leurs revendications. Seule en cause, la sévère pénurie d’eau qui frappe la province et la place, selon les scientifiques, en état de « banqueroute hydrique ».
Le stress hydrique frappe globalement l’Iran depuis maintenant plusieurs années et constitue l’une de ses principales menaces environnementales pour l’avenir. Cette année, la sécheresse a atteint un niveau tel qu’elle est considérée comme la plus grave depuis un demi-siècle. Pour les Iraniens, déjà soumis à une vie quotidienne extrêmement difficile, à un avenir incertain et à une lassitude de plus en plus manifeste envers leurs dirigeants, ce phénomène risque néanmoins de représenter la contrainte de trop. Habilement, aucun groupe séparatiste de la province du Khouzistan n’a profité du contexte pour faire avancer sa cause, mais la révolte gronde néanmoins contre le régime des ayatollahs. Dans la ville d’Izeh, d’étonnants appels à Reza Shah, le fondateur de la dernière dynastie impériale d’Iran, celle des Pahlavi, ont pu se faire entendre. Les manifestations ont été malheureusement émaillées de violences, la police et les manifestants se rejetant mutuellement la responsabilité du décès de deux jeunes hommes. Ces violences, connues et habituelles lors des oppositions entre les Iraniens et les forces de police, loin d’apaiser les choses, ont contribué à multiplier les réactions à travers le pays. A Téhéran, des stations de métro bondées renvoyaient l’écho de chants de femmes appelant à la « mort » de la République islamique.
Face à la multiplication des crises et à la stagnation des négociations autour d’un nouvel accord nucléaire, ce qui retarde d’autant la relance de l’économie iranienne, l’enjeu social est particulièrement pris au sérieux par le régime, dont les fragilités et l’incurie sont de plus en plus révélées au grand jour, à tel point que l’usage toujours plus radical de la violence d’Etat ne suffira sans doute plus à le protéger.
La crise du Covid-19, comme celle de l’eau, illustrent cruellement le manque d’anticipation dont la République islamique a fait preuve pour traiter des enjeux de santé publique pourtant essentiels. Sur 84 millions d’habitants, seule 2% de la population iranienne est vaccinée. En cause, le refus du Guide Suprême Ali Khamenei d’utiliser les vaccins américains et britanniques des laboratoires Pfizer et AstraZeneca, et de préférer s’en remettre à leurs concurrents chinois et russes, qui pourtant tardent toujours à arriver dans le pays. Dans l’attente, le variant Delta, hautement contagieux, frappe impitoyablement l’Iran et lui impose une cinquième vague de contaminations. A ce jour, près de 143 villes iraniennes sont en zone rouge et le nombre quotidien de nouvelles contaminations a augmenté de près de 63%. Poussés par la nécessité face à la lenteur de leur gouvernement, des milliers d’Iraniens se sont rendus à Erevan, la capitale de l’Arménie voisine, où les vaccins sont administrés gratuitement y compris aux étrangers, en dépit de la longueur du voyage et de son coût.
La crise de l’eau résume pour sa part toute la défaillance du régime avec encore plus d’éloquence. Des années de gaspillage et d’absence de politique d’anticipation, associées à une sécheresse persistante et une hausse considérable des températures saisonnières en raison du réchauffement climatique, ont largement contribué à appauvrir les ressources en eau de l’Iran, pourtant indispensables à la survie de son économie et à celle de sa population. Cette année, l’alerte a pourtant été lancée dès le mois de mai par le ministre de l’Energie, qui prévenait déjà que la sécheresse entraînerait coupures d’électricité et pénuries d’eau.
Pris à partie par les manifestants, le Guide Suprême aurait reconnu que les autorités n’ont pas d’autre choix que d’apporter une réponse à la problématique du Khouzistan. Il y a effectivement urgence pour le régime, car la province abrite respectivement 80 et 60% des réserves de pétrole et de gaz de l’Iran. C’est également l’une de ses principales provinces agricoles, productrice de sucre de canne, de bétail, de blé et d’orge. Elle est donc vitale pour son économie déjà chancelante, alors que rien n’a été fait pour lutter contre les effets dévastateurs du réchauffement climatique qui la frappent, ni contre la pollution de son sol entraînée par l’exploitation des hydrocarbures.
Mais l’ouverture des barrages et la mise en place de mesures de compensation, si elle sauve temporairement la situation de la province, ne répondra pas aux pénuries de la province voisine et de sa capitale, Ispahan, et encore moins, sur le long terme, à une crise environnementale d’une extrême gravité pour l’Iran. A peine élu, Ebrahim Raeissi rencontre là son premier véritable défi social et politique. La question de la méthode choisie pour y faire face sera cruciale. Répondre par la violence aux légitimes doléances des Iraniens ne pourra que susciter leur incompréhension, et une colère encore plus vive. Les heurts qui ont émaillé les premières manifestations le prédisent déjà, et le régime aura beau manipuler les informations – en accusant par exemple les manifestants d’être responsables des pertes humaines – il ne parviendra pas à éteindre l’incendie. Le choix de la radicalité, que la République islamique a systématiquement fait lors des précédents mouvements sociaux, pourrait cette fois lui être fatal.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 25/07/2021.