Troublante ressemblance entre la stratégie de l’administration Trump envers l’Iran et celle de l’administration Bush avant 2003, qui s’est soldée par l’invasion illégale de l’Irak.
Dimanche 5 mai, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, a annoncé le déploiement au Moyen-Orient du porte-avions et du groupe aéronaval Abraham Lincoln, ainsi que des bombardiers en réponse à ce que les Américains appellent “une menace crédible” de la part des forces iraniennes.
L’annonce est surprenante à plus d’un titre. D’une part, c’est la première fois qu’un conseiller à la sécurité nationale américain prend le parti d’annoncer un tel déploiement militaire. D’ordinaire, ce type de rotations de troupes américaines ne fait guère la une des journaux, et les Américains ont toujours conservé des forces militaires comparables au Moyen-Orient, des bombardiers et chasseurs à la base aérienne al-Udeid au Qatar, et un porte-avions dans le golfe Persique.
D’autre part, John Bolton ne se base que sur des allégations vagues, évoquant “un certain nombre d’indications et d’avertissements inquiétants et critiques” et de nouvelles informations fournies par les services de renseignements israéliens confirmant une menace iranienne sur les forces américaines au Moyen-Orient. Aucun détail sur cette prétendue menace n’a cependant été divulgué.
Il est pourtant difficile de trouver la moindre provocation à l’encontre des Américains à reprocher à l’Iran dans les semaines et mois passés. Ce n’est pas l’Iran qui viole ses engagements et accumule les provocations, mais bien plutôt les Etats-Unis. Il y a tout juste un an, ils furent le seul pays à se retirer unilatéralement de l’accord de Vienne, obtenu après douze ans d’inlassables négociations. Le mois dernier, les Américains ont déclaré le corps des Gardiens de la Révolution organisation terroriste et décidé d’appliquer les sanctions économiques les plus sévères envers les clients potentiels du pétrole iranien, afin d’asphyxier l’économie iranienne.
Alors comment expliquer cette fébrilité et cette tension croissante de la part des Américains ? Cette annonce survient en effet dans un contexte diplomatiquement complexe.
Le 2 mai, les Etats-Unis ont mis fin aux dérogations qui permettaient à la Chine, à l’Inde et à la Turquie de continuer à acheter du pétrole iranien sans subir de sanctions économiques, et au grand désarroi de l’Iran, ces pays se sont conformés à cette décision. Mercredi 8 mai marquera par ailleurs le premier anniversaire du retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne, à l’occasion duquel Donald Trump devrait annoncer de nouvelles sanctions à l’égard de l’Iran.
Autre aspect plus géopolitique, l’annonce intervint alors que les 4 et 5 mai, de violents affrontements ont opposé des groupes armés palestiniens et Israël dans la bande de Gaza, entraînant pour la première fois depuis 2014 la mort de quatre civils israéliens, en plus des 23 Palestiniens décédés dans les ripostes. Si la gestion ultra-sécuritaire opérée par Benjamin Netanyahu dans la bande de Gaza a prouvé son inefficacité, il lui semble pourtant plus facile d’incriminer l’Iran, « soutien » du Hamas, du Hezbollah et d’autres groupes armés, et d’user de son influence auprès de l’administration Trump pour que les Américains déploient leurs forces au Moyen-Orient et contrent cet « ennemi » de toujours.
En réalité, cette annonce s’inscrit dans la continuité de la stratégie belliqueuse des « faucons » de l’administration Trump, dont John Bolton est l’un des représentants les plus agressifs et déterminé à faire plier l’Iran, fut-ce au prix d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Bolton, tout aussi intransigeant dans les négociations avec la Corée du Nord et le Venezuela, estimait avant d’occuper sa fonction à la Maison-Blanche que le bombardement de l’Iran était le seul moyen de l’empêcher de se doter d’un arsenal nucléaire…
Deux sénateurs américains, Richard Durbin et Tom Udall, ont pourtant mis en garde le Congrès contre la tentation de faire circuler de fausses informations et rumeurs sur une prétendue forfaiture de l’Iran à l’égard de ses obligations internationales. Pour ces deux parlementaires, la « politique iranienne » ultra-agressive de la Maison-Blanche ne vise ni plus ni moins qu’à engager l’armée dans un conflit armé avec l’Iran, afin d’obliger le pays à changer de régime politique. A ce titre, entre la stratégie de l’administration Trump envers l’Iran aujourd’hui, et celle de l’administration Bush avant 2003, qui s’est soldée par l’invasion illégale de l’Irak, la ressemblance est plus que troublante et semble prouver la véracité de cette analyse.
De son côté Javad Zarif, le ministre iranien des affaires étrangères, gardait une prudente réserve quant aux réelles intentions de Donald Trump, restant néanmoins convaincu que les Etats-Unis cherchent avant tout à mettre l’Iran à genoux… sous l’insistante pression de la « B-Team » réunissant John Bolton, « Bibi » (Benjamin Netanyahu), Ben Zayed, prince héritier des Emirats Arabes Unis et Ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite. Et on sait à quel point, à titre personnel, ces quatre personnages appellent de leurs vœux la désintégration de l’Iran ou, à tout le moins, l’effacement de son influence au Moyen-Orient.
Alors, faut-il s’attendre à une guerre entre l’Iran et les Etats-Unis? Les deux pays affirment ne pas la vouloir… mais les Américains semblent faire le contraire de ce qu’ils prêchent. Quand John Bolton déclare que les Etats-Unis ne cherchent pas la guerre, il ajoute néanmoins qu’ils se tiendront prêts à réagir à « toute attaque, soit par procuration, soit par les forces iraniennes ». L’usage du mot « chercher » donne d’ailleurs tout son sens à la déclaration de Javad Zarif sur CNN, estimant que l’administration Trump était en train de mettre en place des mesures propices à la manifestation d’un incident. Même s’il reste évidemment difficile de prévoir l’avenir, tout porte à croire que les prochaines semaines testeront la vigilance extrême des Iraniens à cet égard.
Les annonces d’Hassan Rouhani en réponse aux déclarations attendues de Donald Trump le 8 mai seront à ce titre déterminant. Il semble presque certain qu’il estimera l’Iran délié de ses engagements envers l’accord nucléaire. Autorisera-t-il pour autant la poursuite de travaux de recherche et de développement sur les centrifugeuses et l’enrichissement de l’uranium, au risque non seulement de donner un prétexte aux Américains, mais aussi de mettre les Européens, ardents défenseurs du maintien de l’accord de Vienne, dans l’embarras ? Certains observateurs estiment que l’Iran ne franchira pas le Rubicon… même si ses soutiens ont plus que testé sa patience dans la résolution de ce conflit diplomatique avec les Américains.
Il n’en reste pas moins que si ce redéploiement militaire américain ne reste pour l’instant qu’une affaire logistique, les tambours de la guerre se font de plus en plus entendre… une nouvelle bien inquiétante pour le peuple iranien.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Article paru dans Le Nouvel Economiste du 7/05/2019.