Durant sa campagne présidentielle, Joe Biden avait promis que les Etats-Unis redeviendraient signataires du Joint Comprehensive Plan of Action, que Donald Trump avait unilatéralement décidé de quitter en mai 2018. Après deux ans de mandat, cet idéal apparaît hors d’atteinte. Les négociations sur un nouvel accord éventuel sont au point mort, l’Iran s’est largement affranchi de ses engagements pour reprendre son enrichissement d’uranium au point de devenir un « Etat du seuil », et les conservateurs iraniens de retour au pouvoir depuis juin 2021 se montrent bien moins favorables à un dialogue avec l’Occident que l’administration Rohani. Au contraire, l’Iran a poursuivi sa politique du regard tourné vers l’Est, soutient logistiquement la Russie dans sa guerre en Ukraine, et a signé plusieurs partenariats économiques et sécuritaires avec la Chine. Ce bilan particulièrement négatif doitbeaucoup à une politique américaine bien connue : celle des sanctions.
Le choix d’une application de sanctions économiques et politiques contre l’Iran dans l’espoir d’infléchir ses positions ne date pas de la campagne de « pression maximale » engagée par Donald Trump. Les sanctions européennes qui ont suivi la découverte du programme nucléaire iranien en 2006 s’inspiraient déjà de celles mises en place par les Etats-Unis depuis plus d’une décennie (gel des actifs iraniens à l’étranger, restriction des déplacements de personnalités iraniennes et des échanges commerciaux). Or, à l’époque comme aujourd’hui, cette stratégie d’isolement n’a jamais obtenu aucun effet positif, puisque l’Iran n’a jamais renoncé à son programme nucléaire en dépit des conséquences économiques, bien au contraire. Les effets pervers sont en revanche nombreux : entraves au travail des inspecteurs de l’AIEA et perte de confiance entre Iraniens et Occidentaux, radicalisation du régime, négation de l’isolement de l’Iran et construction d’alternatives régionales par le renforcement des partenariats avec les voisins asiatiques.
L’effet des sanctions est néanmoins paradoxal. L’administration Trump avait envisagé la « pression maximale » comme un moyen de favoriser un regime change en poussant la population à bout. Dans un premier temps, l’organisation de la riposte iranienne par une « économie de la résistance » a permis de différer cet effet. Pour autant, celle-ci accuse des limites certaines. L’exclusion du système bancaire international a nécessité la réorganisation des circuits commerciaux iraniens, mais ceux-ci n’ont pas pu empêché la perte considérable de pouvoir d’achat et de bien-être des Iraniens, en contribuant à une hausse de l’inflation. L’absence de perspectives d’avenir et les contestations sociales récurrentes – notamment celle en cours depuis septembre dernier – ont créé un climat de défiance et entraîné une dépréciation monétaire colossale – le dollar américain s’échangeait contre 360 000 rials iraniens le 5 novembre 2022, du jamais vu en quatre décennies. Près de 30% des Iraniens vivraient désormais sous le seuil de pauvreté, le véritable chiffre se situant probablement plus près de la moitié de la population, alors même que l’Iran est un pays riche en ressources naturelles et affiche le taux d’éducation le plus élevé du Moyen-Orient. Si les sanctions économiques n’ont pas fait évoluer le régime iranien, elles sont néanmoins parvenues à nourrir l’exaspération de la population iranienne à son encontre.
Ce constat pourrait inciter à maintenir cette politique jusqu’à la chute définitive de la République islamique. C’est sous-estimer la radicalité dont elle est capable pour assurer sa survie, fusse-ce au prix de la répression sanglante du peuple iranien qui, comme on a pu l’observer cette semaine, a franchi un cran avec l’exécution d’un manifestant.
Pour Robert Malley, envoyé spécial de Washington sur l’Iran, « les sanctions ne sont pas la bonne réponse ». L’état de la relation entre les Occidentaux et l’Iran confirment effectivement qu’elles aboutissent à une impasse. De fait, le seul mécanisme qui a donné la preuve de son efficacité pour limiter l’avancée du programme nucléaire de l’Iran demeure le JCPoA, du moins durant les trois ans où il a été effectif. C’est une expérience qui continue à servir d’appui et qui explique la volonté des Occidentaux de le maintenir en vie. Le bras de fer diplomatique entre Washington et Téhéran et les désengagements progressifs de l’Iran du texte de l’accord amenuisent néanmoins cette possibilité. In fine, il pourrait n’être même plus utile de lever les sanctions, tant les progrès de l’Iran en matière nucléaire auront rendu le JCPoA caduc.
Cette extrémité doit être évitée, tout comme l’usage de la force, sans doute la solution qui répugne le plus aux Occidentaux. Tant au sein des chancelleries européennes qu’à la Maison-Blanche, nul n’a de réelle volonté d’envisager un conflit avec l’Iran. Si l’issue en serait tout à fait incertaine, la déstabilisation colossale qu’il entraînerait au Moyen-Orient et dans le monde ne fait en revanche aucun doute. La diplomatie reste donc la meilleure option, celle qui a fait ses preuves avec la signature, après des années de négociations, de l’accord de Vienne en juillet 2015.
L’autre possibilité est tout simplement de soutenir activement l’insurrection du peuple iranien, qui incarne le meilleur moyen de faire advenir un changement en Iran. A cette fin, la pression internationale peut être utile. Mais un allègement des sanctions économiques ou, à tout le moins, un bien meilleur ciblage doit être envisagé. En effet, les maintenir voire les renforcer ne saurait aider le peuple iranien, qui subit tout à la fois les privations économiques et le tour de vis politique et social du régime, alors qu’il aspire à la liberté et à redevenir maître du destin collectif de l’Iran.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 11/12/2022.