En réponse à de nouvelles tentatives d’expulsions de Palestiniens au profit d’Israéliens le 3 mai dernier, dans le quartier de Cheikh Jarrah, secteur palestinien à Jérusalem-Est occupé puis annexé au mépris du droit international par Israël, le Hamas a riposté le 10 mai avec des tirs de roquettes. Selon Robert Mardini, directeur général du Comité international de la Croix-Rouge, “l’intensité de ce conflit, c’est quelque chose que nous n’avons jamais vu auparavant, avec des raids aériens incessants sur Gaza qui est densément peuplée, et des roquettes qui frappent des grandes villes en Israël”. Dans l’intervalle, le 6 mai, Paris, Berlin, Londres, Rome et Madrid avaient exhorté Israël à mettre fin “à sa politique d’extension des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés” qualifiée d’illégale, en cessant les expulsions à Jérusalem-Est.
“Paris, Berlin, Londres, Rome et Madrid avaient exhorté Israël à mettre fin “à sa politique d’extension des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés” qualifiée d’illégale, en cessant les expulsions à Jérusalem-Est”
Malgré la contestation à l’unisson des puissances européennes, les tensions se sont aggravées après les échauffourées sur l’esplanade des Mosquées. En effet, dans la seule journée du 16 mai, une quarantaine de Palestiniens sont morts sous les bombes de Tsahal, l’armée israélienne, lancées en représailles des salves de roquettes du Hamas. Le bilan est lourd depuis le début des violences : environ 200 Palestiniens tués, dont une soixantaine d’enfants, et 1 200 blessés. L’asymétrie des forces armées dans ce conflit est plus criante que jamais puisque les 3 000 roquettes tirées sur Israël par les groupes armés palestiniens dont le Hamas, ont été pour la plupart interceptées par le système anti-missile israélien “Dôme de fer”, selon l’armée israélienne. Grâce à sa supériorité technologique, Israël a donc été relativement épargné en termes de victimes puisqu’on décompte dix morts dont un enfant et environ 300 blessés dans les rangs israéliens. Jérusalem a également récemment subi une attaque à la voiture bélier contre des soldats israéliens, sans surprise dans le quartier de Cheikh Jarrah où tout a débuté.
Vive condamnation des agissements israéliens à travers le monde
En Europe et en Amérique, des dizaines de milliers de manifestants ont protesté en soutien aux pertes civiles palestiniennes. En France par exemple, 22 000 personnes sont descendues dans la rue sur tout le territoire, et ce malgré l’interdiction de manifester décidée par le gouvernement. Face au nombre important de civils tués en un court laps de temps, l’Égypte a ouvert ses frontières pour faire transiter trois convois de centaines de Palestiniens blessés dans les récents bombardements, par le terminal de Rafah, seul poste-frontière entre la bande de Gaza et l’étranger non bloqué par Israël. En effet, à l’intérieur de la bande de Gaza, enclave palestinienne de deux millions d’habitants sous blocus illégal depuis quatorze ans, la population subit une sanction collective (barrages routiers, pénurie d’électricité, de soins, de denrées) dans un contexte d’aggravation de la crise sanitaire.
“A l’intérieur de la bande de Gaza, enclave palestinienne de deux millions d’habitants sous blocus illégal depuis quatorze ans, la population subit une sanction collective (barrages routiers, pénurie d’électricité, de soins, de denrées) ”
Par ailleurs, alors qu’Israël continue d’interdire aux médias internationaux l’accès à Gaza, l’armée israélienne a détruit, le week-end dernier, l’immeuble abritant les journalistes d’Al-Jazeera et Associated Press. Bien que les démolitions de logements palestiniens ordonnées à titre punitif se soient multipliées ces dernières années, cette attaque dirigée contre des journalistes a fait un tollé en Europe. Les médias européens et la classe politique ont en effet jugé inadmissible cette offensive israélienne, au nom de la liberté d’informer, d’autant plus fondamentale dans une crise aiguë. Tsahal, qui nie toute volonté de dissimulation des dégâts causés par leurs frappes, a affirmé que ce bâtiment, évacué avant les bombardements, était “une cible parfaitement légitime” puisqu’il abritait “des entités appartenant au renseignement militaire” du Hamas, qu’elle accuse de se servir de civils comme “boucliers humains”.
Le 16 mai, l’armée israélienne a annoncé avoir frappé le domicile du chef du Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Sinouar, emprisonné pendant vingt ans par Israël et élu en 2019 à ce poste, sans préciser s’il a été tué dans l’attaque. Dans les villes mixtes telles que Jérusalem, Lod, Akko et Haïfa, les affrontements entre juifs et Arabes se multiplient, sur fond de violence anarchique entre civils. Pendant que les émeutiers arabes brûlent un musée ou saccagent des voitures, les extrémistes juifs se livrent à des ratonnades en ouvrant le feu notamment contre des commerçants, en scandant “Mort aux Arabes !”.
Un gouvernement israélien plus déterminé que jamais
Alors que le Hamas œuvre pour récupérer le leadership du peuple palestinien face à un Mahmoud Abbas, président palestinien, qui a reporté les élections par crainte de subir un échec cuisant, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, joue gros lui aussi dans ces affrontements. En se présentant comme le défenseur de l’État hébreu, il veut faire oublier son procès pour corruption débuté au début du mois et asseoir sa crédibilité auprès d’un électorat israélien de plus en plus à droite. Gilad Erdan, envoyé israélien à l’ONU, estime que les Israéliens agissent “avec le sentiment de justice, avec le sentiment que c’est la chose juste à faire, que c’est ce qu’il faut faire pour protéger les citoyens d’Israël”.
“Benjamin Netanyahou, en se présentant comme le défenseur de l’État hébreu, veut faire oublier son procès pour corruption et asseoir sa crédibilité auprès d’un électorat israélien de plus en plus à droite”
Sur la même ligne, le leader du Likoud a déclaré la veille du scrutin : “Tant que je serai Premier ministre, il n’y aura pas d’État palestinien”, martelant à la télévision qu’“il n’y a pas d’opération plus juste ou plus morale”. Convaincus que l’homme fort dont ils ont besoin est Benjamin Netanyahou, les Israéliens s’étaient fortement mobilisés pour le soutenir dans les urnes et lui faire remporter les dernières élections législatives. Benjamin Netanyahou a récemment déclaré que les combats dureraient encore quelques jours et a mis en garde le Hamas : “Vous ne pouvez pas vous cacher, ni au-dessus de la terre, ni en dessous. Personne n’est à l’abri”.
Position très ambiguë des États-Unis
Alors que Benjamin Netanyahou affirme avoir le soutien “sans équivoque” de Joe Biden, ce dernier dit toutefois son inquiétude concernant l’escalade des violences et la sécurité des journalistes à la suite du bombardement de l’immeuble d’Al-Jazeera en rappelant à Israël, par la voix de sa porte-parole Jen Psaki, que “garantir la sécurité des journalistes et des médias indépendants était une responsabilité d’une importance capitale”. Ce ton plus ferme tranche avec le soutien habituellement sans faille de Washington vis-à-vis de l’État hébreu. Néanmoins, Joe Biden a pris soin de rappeler au monde son “fort soutien au droit d’Israël à se défendre contre [les attaques du mouvement islamiste Hamas] et d’autres groupes terroristes à Gaza”. En interne, Joe Biden est en revanche pressurisé par l’aile progressiste du parti démocrate. En effet, la représentante démocrate américaine Alexandria Occasio-Cortez a dénoncé sur Twitter des “déclarations générales” du président américain “avec peu de contexte ou de reconnaissance de ce qui a provoqué ce cycle de violence – à savoir les expulsions de Palestiniens et les attaques contre [la mosquée] Al-Aqsa”, qui déshumanisent selon elle les Palestiniens et laisseraient entendre que les États-Unis fermaient les yeux sur les violations des droits humains commises par Israël. Elle ajoute qu’“en n’intervenant que pour parler des actions du Hamas (…) et en refusant de reconnaître les droits des Palestiniens, Biden renforce l’idée fausse que les Palestiniens sont à l’origine de ce cycle de violence. Ce n’est pas un langage neutre. Il prend parti pour un camp – celui de l’occupation”.
“En interne, Joe Biden est en revanche pressurisé par l’aile progressiste du parti démocrate. Alexandria Occasio-Cortez a dénoncé des “déclarations générales” du président américain “avec peu de contexte ou de reconnaissance de ce qui a provoqué ce cycle de violence – à savoir les expulsions de Palestiniens et les attaques contre [la mosquée] Al-Aqsa”
Malgré la pression en interne, Joe Biden fait jouer la montre en faisant usage de l’opposition américaine par trois fois, bloquant ainsi la signature d’une déclaration conjointe esquissée lors des réunions d’urgence du Quatuor pour le Moyen-Orient (Union européenne, Russie, États-Unis, ONU). La Russie et la Chine, de même que les alliés des États-Unis, critiquent cette position que tous jugent incompréhensible.
Bérézina diplomatique à l’ONU
L’ONU, ankylosée par son système de veto d’un des cinq du Conseil de sécurité, ne parvient toujours pas à régler cette situation en usant de la diplomatie. Preuve en est que la dernière des trois réunions d’urgence a été un nouveau fiasco. En effet, en raison du blocage américain, aucune proposition concrète qui pourrait permettre de cesser les hostilités, aucune esquisse de déclaration commune n’a été possible. Les visioconférences n’auront seulement été que le théâtre d’affrontements verbaux entre les représentants politiques de la Palestine et d’Israël qui se sont invectivés à tour de rôle. Le ministre des Affaires étrangères palestinien, Riyad Al-Maliki, a en effet accusé Israël de “crimes de guerre”, dénonçant “l’agression” de l’État hébreu contre le peuple palestinien et ses lieux saints. Gilad Erdan, ambassadeur israélien, a répondu que “le Hamas a choisi d’accélérer des tensions, utilisées comme prétexte, pour commencer cette guerre”, qui aurait été “préméditée” selon lui. Face à cette bérézina diplomatique, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, met en garde contre “ce cycle insensé d’effusion de sang, de terreur et de destruction, qui doit cesser immédiatement” et qui risque de déraper en une crise régionale “incontrôlable”.
“L’ONU, ankylosée par son système de veto d’un des cinq du Conseil de sécurité, ne parvient toujours pas à régler cette situation en usant de la diplomatie”
Le chef d’État américain a plaidé pour une “solution négociée à deux États”, qui est selon lui “la meilleure voie pour parvenir à une résolution juste et durable du conflit israélo-palestinien”. Cependant, au vu du contexte et de l’histoire de ce conflit, ce souhait ne semble plus réalisable tant le conflit est profond et les dégâts humains et matériels importants.
L’Europe en service minimum
Cette aggravation du conflit a été permise par la passivité de la communauté internationale qui s’est contentée de placer systématiquement le dossier palestinien sous la table. En effet, du côté américain comme du côté européen, les réactions à la montée des violences entre Israéliens et Palestiniens se sont limitées à des appels au calme et à la désescalade. En 2020, l’Union européenne, derrière une unité de façade, avait contribué à bloquer “l’Accord du siècle” de Donald Trump pour le Proche-Orient, très favorable à Israël grâce à l’annexion d’une partie de la Cisjordanie et à l’absence de souveraineté accordée à la Palestine sur son espace aérien ou maritime.
“Cette aggravation du conflit a été permise par la passivité de la communauté internationale qui s’est contentée de placer systématiquement le dossier palestinien sous la table”
Depuis, les Européens se sont concentrés sur la gestion des affaires urgentes, de la crise sanitaire à l’instabilité du Moyen-Orient, en passant par les menaces russes et iraniennes. Mais ce service minimum est indéniablement dangereux, à la fois pour la sécurité des populations mais également hautement délétère pour la crédibilité de l’Europe, qui perd une nouvelle fois des points en ne prenant pas position malgré des circonstances d’une exceptionnelle gravité. Elle n’est pas la seule à perdre de sa superbe puisque les pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan) sont dans une position délicate à l’égard de leurs populations, en raison de la signature des accords de normalisation avec l’État hébreu il y a quelques mois.
Les récents événements prouvent néanmoins que ni l’administration américaine, ni les Européens ne peuvent continuer d’ignorer le conflit.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 19/05/2021.