A deux mois de l’élection présidentielle, l’agitation de l’administration Trump concernant la définition de sa « stratégie iranienne » dénote non seulement une certaine forme de panique, mais aussi un décalage entre l’expression publique et les éventuelles négociations officieuses.
Les Etats-Unis viennent en effet de décider unilatéralement le rétablissement de l’ensemble des sanctions de l’ONU qui frappaient l’Iran avant la signature de l’accord de Vienne en 2015 – une procédure sans effet juridique aux yeux des membres du Conseil de Sécurité – après avoir tenté sans succès de faire adopter une résolution prolongeant l’embargo sur les armes imposé à l’Iran. Tout porterait donc à croire que la position de Donald Trump vis-à-vis de Téhéran est toujours aussi inflexible. Pourtant, une rumeur insistante circulant dans les médias américains et iraniens semble faire état d’une tentative de rapprochement menée en coulisses entre Washington et la République islamique. Compte tenu du timing, on se doute que ces deux « options », bien que radicalement opposées, ont des visées électorales.
En vérité, les deux stratégies divisent jusqu’au sein de la Maison-Blanche. Le fait est que les objectifs de la « pression maximale » déployée par l’administration Trump et soutenue avec acharnement par le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo – réduire l’influence régionale de l’Iran au Moyen-Orient, faire tomber le régime et contraindre drastiquement son programme d’enrichissement nucléaire – n’ont obtenu aucun résultat en deux ans, si ce n’est le renforcement de l’influence des conservateurs et des Gardiens de la Révolution au sein du régime.
Pourtant, les éléments les plus radicaux du cabinet de Trump persistent à réclamer une action militaire contre Téhéran. Un tel entêtement semble témoigner d’une faillite de la part des services de renseignements américains, et notamment de la CIA, à conseiller le président de manière judicieuse. Bien qu’ils soient par nature très au fait de l’impact des sanctions sur la réalité du contexte politique iranien, ces services semblent avoir convaincu Donald Trump que la République islamique était au bord de l’effondrement. L’assassinat du général Ghassem Soleimani le 3 janvier 2020 à Bagdad, alors qu’il ne représentait aucune menace directe ou imminente pour les intérêts américains, en témoigne avec éloquence. Si les autorités américaines l’ont justifié en invoquant la légitime défense, les Nations Unies pour leur part ont estimé que cette action contrevenait totalement au droit international en la matière. Les frappes – supposées israéliennes – contre des installations iraniennes à Natanz n’ont pas contribué à apaiser les tensions, d’autant plus que la collaboration des Etats-Unis dans leur organisation, à défaut d’être prouvée, paraît hautement probable. Or, dans un contexte régional aussi explosif, la prise de risque doit avoir un minimum d’intérêt politique. Pour l’heure, on ne le voit pas. Le directeur du Mossad Yossi Cohen aurait lui-même estimé que ces frappes n’étaient pas plus efficaces que l’accord de Vienne pour faire reculer l’influence iranienne au Moyen-Orient. Au contraire, elles renforcent ceux qui à Téhéran s’opposent à un rapprochement avec l’Occident, et n’en diminuent en rien la dangerosité.
Quelle est donc la pertinence de cette stratégie belliciste ? Certains hauts fonctionnaires américains bien renseignés estiment que Mike Pompeo, qui se rêve en candidat républicain aux élections présidentielles de 2024, utiliserait la « stratégie iranienne » pour servir ses ambitions personnelles… L’autre problème concerne le caractère même des conseillers de Donald Trump au sein des services de renseignements, qui manquent des compétences nécessaires pour gérer un dossier aussi complexe avec toute la nuance et la recherche d’équilibre requises. Au final, la poursuite de cette stratégie, en renforçant le pouvoir décisionnaire des Pasdarans, pourrait justement matérialiser les risques que Trump souhaitait éviter.
A l’inverse, une reprise du dialogue entre les deux parties a toujours été l’un des objectifs des autres signataires de l’accord de Vienne, notamment la France et l’Allemagne, ne serait-ce que pour préserver la crédibilité du Conseil de Sécurité et tenter de sauver ce qui peut l’être du multilatéralisme. A Téhéran, on considère l’information concernant ce rapprochement comme un « ballon d’essai » destiné à convaincre le Guide suprême Ali Khamenei, qui avait pourtant rappelé en août dernier son opposition à toute nouvelle négociation avec l’administration Trump, de la nécessité d’une reprise du dialogue pour sauver l’économie iranienne. Peut-être que Trump, malgré sa rhétorique guerrière, cherche effectivement une autre porte de sortie. Cependant, le risque est grand de voir les diplomates iraniens, bien plus aguerris, négocier un accord qui leur sera favorable au détriment de Washington – l’accord de retrait des troupes américaines, signé avec les talibans fin février, a déjà démontré l’amateurisme préjudiciable de l’équipe américaine en poste. Du point de vue américain, il devient désormais urgent d’instiller une bonne dose de pragmatisme et de real politik dans l’élaboration de cette stratégie. Est-ce seulement possible en deux mois et en pleine campagne électorale ? On en doute fortement.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 23/09/2020.