« L’Etat d’Israël contre Benjamin Netanyahu », figure le terrible acte d’accusation qu’il craignait tant. Un en-tête largement repris comme titre par certains médias stupéfaits. Il faut dire qu’en frappant celui qui se présentait en campagne électorale comme le seul défenseur de l’Etat hébreu contre ses « ennemis extérieurs », qu’ils soient arabes ou iraniens, la formule ne manque pas d’ironie.
Jeudi 21 novembre, Benjamin Netanyahu a donc enfin été inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un Premier ministre – par ailleurs celui qui a battu le record de longévité à ce poste – en exercice est mis en examen. Preuve du caractère exceptionnel de l’évènement, les lois fondamentales d’Israël n’ont jamais prévu ce cas de figure.
C’est précisément sur ce vide juridique que Netanyahu a choisi de baser sa défense une heure à peine après l’annonce publique de son inculpation, et ce faisant, il a opté pour un renversement complet de l’accusation. Ce n’est plus l’Etat d’Israël qui accuse son Premier ministre, mais le Premier ministre qui dénonce « une tentative de coup d’Etat sur la base de fausses accusations. » Il a notamment exigé la création d’une commission d’enquête indépendante contre ses procureurs et contre les officiers de police qui ont monté son dossier depuis 2016. La stupeur engendrée par cette inculpation a bouleversé encore davantage la scène politique israélienne, qui se portait déjà bien mal. Mais c’est surtout le Likoud, le parti de Netanyahu, qui s’inquiète de pouvoir se relever après un tel coup porté à son leader.
Concrètement, à la suite de cette décision de la justice israélienne, que peut-il se passer ?
Netanyahu va certainement tenter de jouer contre le temps pour rester à son poste. Car la justice israélienne est lente : il va falloir plusieurs mois pour que son acte d’inculpation soit transmis à la Cour. Comme la loi israélienne ne prévoit pas de solution en cas d’inculpation du Premier ministre, celui-ci peut techniquement rester en place jusqu’à une condamnation définitive en appel, et la procédure prendra des mois, voire des années. Une procédure d’appel auprès de la Cour Suprême d’Israël peut prendre à elle seule entre six mois et deux ans…
A plus court terme, Netanyahu a 30 jours devant lui pour tenter d’obtenir à nouveau l’immunité auprès de la Knesset pour toute la durée de son nouveau mandat déjà sur la sellette. Or, ceci est totalement impossible puisqu’il n’y dispose d’aucune majorité. Deux fois déjà, en avril et en septembre, les Israéliens ont été appelés aux urnes pour les élections législatives. A l’issue de ces élections, ni Netanyahu, ni Benny Gantz, son rival de l’opposition, ne sont parvenus à former un gouvernement. En conséquence, le comité qui, au sein du Parlement, serait chargé d’examiner l’immunité du Premier ministre et de décider s’il doit quitter son poste pour affronter la justice, n’a jamais pu être formé. Or, sans sa décision, l’action en justice lancée par le procureur général Avichai Mandelblit ne peut être poursuivie.
Compte tenu de la « panne démocratique » que connaît actuellement le Parlement, convoquer de nouvelles élections – les troisièmes en moins d’un an – pour mars 2020 semble une solution de plus en plus crédible. A moins que d’ici trois semaines, n’importe quel parlementaire n’arrive à former un gouvernement d’union comme la loi l’y autorise, sous réserve de réunir 61 de ses pairs (sur 120). Mais le mouvement le plus dangereux pour Netanyahu risque de venir de son propre camp.
Le soir même de son inculpation, « Bibi » a repris en guise de défense les thèmes mêmes de sa campagne à l’adresse de ses partisans et électeurs du Likoud : la critique d’une justice « sélective », et des « traîtres », ceux qui, dans son propre camp, envisagent déjà la succession et pousseraient volontiers leur chef mis en difficulté vers la sortie. Mais si jeudi soir, Netanyahu refusait catégoriquement toute idée de primaires pour renouveler la direction de son parti, dimanche soir, le Premier ministre acceptait à contre-coeur la demande formulée par les membres du Likoud – et sous la houlette de son principal rival Gideon Saar. Celles-ci devraient se tenir dans les six prochaines semaines.
L’incertitude préside donc au destin d’Israël pour les semaines à venir, car l’inculpation de Netanyahu, si elle est une bonne nouvelle pour la démocratie et la justice, ne contribuera pas à résoudre la crise politique en cours depuis des mois, bien au contraire. Le climat est particulièrement sombre, alors que le pays fait face à d’importants défis sociaux et économiques, sans oublier les enjeux sécuritaires et géopolitiques particulièrement complexes, compte tenu de la situation actuelle du Moyen-Orient. Sans véritable gouvernement, l’armée israélienne n’en poursuit pas moins ses actions en Palestine, au Liban, en Syrie et en Irak.
Dans sa contre-attaque, Benjamin Netanyahu dénonçait l’acharnement des médias à son encontre, se demandant « dans quelle démocratie, dans quel Etat » il vivait. La réponse est pourtant simple : la démocratie israélienne, du moins sous son aspect politique, se trouve désormais dans une impasse que le Premier ministre a contribué lui-même à créer par l’emploi d’une stratégie violente et ultra-nationaliste. Certains éditorialistes craignent précisément que Netanyahu, bien qu’acculé, accentue sa tactique de la « terre brûlée » et ne paralyse totalement les institutions avant d’accepter de quitter enfin le pouvoir. Cependant, sa mise en examen démontre que, si la classe politique israélienne est tombée dans une affligeante médiocrité, la justice et les médias, pour leur part, donnent la preuve de leur vitalité et restent désormais les seuls garants de l’Etat de droit. Cela ne suffira certainement pas à sortir Israël de cette crise politique majeure. Mais au milieu du chaos, cela offre un salutaire espoir de stabilité aux Israéliens.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 27/11/2019.