Le gouvernement iranien a annoncé le 4 janvier dernier avoir enclenché le processus d’augmentation d’enrichissement de l’uranium. La véracité de cette information a été confirmée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cette annonce qui faisait suite à une décision du parlement iranien faisant injonction à l’exécutif de procéder ainsi a été unanimement saluée par la presse iranienne. Force est de constater que cette initiative iranienne alimente vivement les spéculations sur ce qui risque de se passer au Moyen-Orient dans les semaines et mois à venir.
Un revirement de stratégie explicite
L’accord nucléaire du 14 juillet 2015 (JCPOA) signé entre l’Iran et les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne et l’union européenne prévoyait un seuil maximal d’enrichissement de 3,67 % que l’Iran a dépassé ces derniers mois. Jusqu’à la sortie des Etats-Unis de l’accord nucléaire, l’Iran respectait scrupuleusement les stipulations de ce même accord.
Le 18 novembre 2020, l’AIEA avait déjà fait état de la mise en service par l’Iran des centrifugeuses avancées, qui ont récemment été transférées dans l’usine de Fordo, principal site d’enrichissement d’uranium du pays, après une explosion survenue le 2 juillet 2020 dans celui de Natanz.
Selon le porte-parole du gouvernement qui s’est exprimé le lundi 4 janvier 2021, le processus de production de l’uranium enrichi à 20% a bel et bien débuté au sein du complexe souterrain d’enrichissement situé dans la ville de Fordo, au sud de Téhéran. L’Iran ne se cache donc absolument pas de ce revirement dans sa stratégie nucléaire. Preuve en est que l’Iran a envoyé une lettre en date du 31 décembre à l’AIEA dans laquelle le gouvernement iranien a explicité sa volonté de produire de l’uranium enrichi à 20%. Il s’agit de la plus grande entorse au JCPOA réalisée par l’Iran depuis le retrait américain de l’accord en mai 2018 et qui faisait suite au dernier assassinat en date d’un scientifique iranien par Israël.
De récents événements n’augurant rien de bon
De récents évènements pourraient expliquer cette recrudescence de tension dans cette situation déjà complexe. En effet, après l’assassinat du général Qassem Soleimani début 2020 accusé par Donald Trump de préparer des attaques imminentes contre des diplomates et militaires américains, l’assassinat fin novembre 2020 de Mohsen Fakhrizadeh, ponte dans le secteur des missiles balistiques iraniens a sans nul doute remis de l’huile sur le feu. Comme réaction à cette attaque ciblée, le Parlement iranien a adopté une loi qui prévoyait la production et le stockage d’au moins 120kg par an d’uranium enrichi à 20% et le non-respect des inspections de l’AIEA. Toutefois, le gouvernement iranien s’est opposé à cette loi très controversée de même que tous les signataires du JCPOA qui avaient appelé l’Iran à ne pas « compromettre l’avenir ».
Le 20 décembre 2020, des roquettes ont explosé près de l’ambassade américaine à Bagdad, amenant à trois le nombre d’attaques contre des installations américaines depuis une trêve annoncée en octobre par des factions irakiennes alliées à l’Iran. Donald Trump a accusé l’Iran, via les milices irakiennes qui lui sont affiliées, d’être responsable de cette attaque et a affirmé qu’il tiendrait l’Iran pour responsable de toute attaque engendrant la mort d’Américains en Irak. Face à ces accusations, Téhéran a mis en garde le président américain sortant contre tout « aventurisme » avant sa fin de mandat. Mohammad Zarif, ministre des affaires étrangères iranien a quant à lui mis en garde sur Twitter le président américain du piège selon lui tendue par des « agents provocateurs israéliens » qui fomenteraient des attentats contre les États-Unis afin de « coincer » le président sortant « avec un faux casus belli ».
Le dernier événement en date qui confirme le bras de fer engagé par l’Iran avec la communauté internationale afin de faire lâcher du lest de force sur les sanctions, a été la saisie d’un pétrolier sud-coréen stationnant dans le détroit d’Ormuz, zone clé du transit de la production pétrolière mondiale. Les Gardiens de la Révolution l’ont annoncé dans la foulée de leur décision concernant l’uranium enrichi, justifiant cette action par une infraction aux « lois sur l’environnement marin » au vu des 7.200 tonnes de produits chimiques pétroliers transportés à bord. Il s’agit selon le gouvernement iranien d’une « question purement technique et due à la pollution de la mer » car le pétrolier aurait causé une pollution conséquente à 11 milles de l’île de la Grande Tunb, petite île dans l’est du Golfe persique et n’aurait pas arrêté son chemin malgré plusieurs mises en garde des patrouilles des Gardiens de la Révolution avant sa saisie. Selon les journaux iraniens, le pétrolier est ancré dans le port iranien de Bandar Abbas, dans la province d’Hormozgan. Séoul a immédiatement réclamé la libération des membres d’équipage et a déployé une unité navale anti-piraterie dans la zone de conflit. Les États-Unis se joignent à la demande de libération du pétrolier car ils estiment qu’il s’agit d’une « claire tentative d’extorsion sur la communauté internationale dans le but d’alléger la pression des sanctions ».
En parallèle de cette action, l’Iran est en litige avec la Corée du Sud qui, après l’annonce de nouvelles sanctions américaines, a bloqué 7 milliards de dollars de fonds iraniens prévus pour la crise de la Covid-19. Ces fonds sont importants pour l’Iran qui est le pays le plus touché de la région du Golfe persique par la crise sanitaire. Le ministre des Affaires étrangères sud-coréen est arrivé le jeudi 7 janvier à Téhéran pour discuter du dégel des fonds.
Des réactions vives de la part des États-Unis
La réaction de la part du gouvernement américain a été immédiate à la suite de cette annonce. En raison des récents évènements et après avoir décidé le rapatriement du porte-avions USS Nimitz le 31 décembre 2020 en signe de « désescalade », le Pentagone a finalement fait volte-face et a décidé d’annuler l’ordre de rapatriement. En effet, Christophe Miller, ministre américain de la Défense par intérim, a déclaré dans un communiqué publié dimanche 3 janvier 2021 qu’ « en raison de récentes menaces proférées par des dirigeants iraniens contre le président Donald Trump et d’autres responsables du gouvernement américain, [ il a] ordonné au USS Nimitz de stopper son redéploiement ». Il a ajouté que le porte-avions resterait ainsi en position dans le Golfe Persique et que « personne ne devait douter de la détermination des États-Unis d’Amérique ».
Le mardi 5 janvier, les États-Unis ont annoncé la mise en place de nouvelles sanctions contre le secteur sidérurgique iranien. Le mot d’ordre est clair : la pression doit être maximale contre la République iranienne. Washington a rendu publique une liste noire de personnes et d’entités surveillés de près par le gouvernement américain. Donald Trump, dans la tourmente après les évènements au Capitole ne semble pas faiblir dans ses promesses de sanctions et de pression dans le dossier iranien jusqu’à la fin de son mandat, le 20 janvier. Ce dernier a en effet reconnu sa défaite et a promis une transition dans la paix. Joe Biden a quant à lui souligné son intention de détricoter cette politique de pression maximale menée avec véhémence par Donald Trump.
Quelques heures après l’annonce concernant le porte-avions USS Nimitz, l’armée iranienne a annoncé qu’une opération « conjointe et à grande échelle » mobilisant des centaines de drones opérationnels des différents corps d’armée iraniens (terre, air, marine) allait avoir lieu sur deux jours. Cet exercice grandeur nature a pour but de simuler des combats, des opérations de surveillance de reconnaissance de guerre informatique et par la même occasion de continuer l’opération de démonstration de force, opérée par le gouvernement iranien depuis quelques mois.
L’Union européenne inquiète mais impuissante ?
L’Union européenne a également réagi et a déclaré que cet enrichissement annoncé « constituerait une entorse considérable à ses engagements nucléaires » dans le cadre de l’Accord de Vienne avec de « graves conséquences en matière de non-prolifération ». L’ONU a déclaré récemment que « Le directeur général a informé les Etats membres de l’AIEA que l’Iran avait commencé à alimenter en uranium déjà enrichi à 4,1% six cascades de centrifugeuses (…) dans le but de monter à 20% ». Si l’ONU et l’Union européenne ont toutes les deux mis en garde contre la situation actuelle, il semble que le dénouement réside entre les mains des dirigeants américains et iraniens.
Ces récents évènements pèseront sans nul doute sur les négociations avec la nouvelle administration américaine qui prendra place après le 20 janvier.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 13/01/2021.