Malgré un récent geste allant dans le sens de la coopération, l’Iran démontre son manque d’inclination à sauver l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA), qui reste pourtant une priorité pour l’administration Biden dont la réputation a été mise à mal ces derniers mois, notamment après le retrait critiqué d’Afghanistan.
Fin septembre, l’Iran avait fini par accepter in extremis le remplacement de cartes mémoire dans les caméras de surveillance mises en place par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur certains sites. L’installation de ces caméras constituait une solution de secours suite au retrait de Téhéran de l’accord de coopération avec l’AIEA et au silence de Téhéran face aux demandes d’installation de caméras et de contrôles demandés par les inspecteurs, qui estiment que leurs capacités de vérification ont été “sérieusement compromises” depuis quelques mois. Par ailleurs, depuis le mois de juin dernier, aucun rendez-vous de diplomatie n’a été tenu à Vienne pour réenclencher le sauvetage de l’accord. Face à des agissements considérés comme des “manœuvres dilatoires” par les États-Unis et l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, les tensions se cristallisent.
Un nouveau cap stratégique anti-JCPOA
La raison principale de ce ralentissement dans les négociations réside dans l’élection d’un nouveau président iranien, Ebrahim Raisi, le 18 juin dernier, qui s’inscrit dans l’ultra-conservatisme, contrairement à son prédécesseur. En effet, malgré la promesse de respecter les strictes limitations de l’activité atomique de l’Iran et une position officielle non hostile aux négociations, dans les faits, il en est tout autrement. La demande de temps supplémentaire pour mettre en place une équipe de négociation et pour examiner les six cycles précédents de discussion n’apparaît être que de la poudre aux yeux pour cacher le véritable agenda iranien.
“ La raison principale de ce ralentissement dans les négociations réside dans l’élection d’un nouveau président iranien, Ebrahim Raisi, qui s’inscrit dans l’ultra-conservatisme, contrairement à son prédécesseur”
Ali Bagheri Kani, nouveau vice-ministre des affaires étrangères chargé des affaires politiques, fervent opposant au JCPOA, considère que l’accord viole les droits nationaux de l’Iran et porte atteinte à l’indépendance du pays. De plus, les récentes déclarations du nouveau président et du ministre iranien des Affaires étrangères actuel, Hossein Amir-Abdollahian, vont dans le sens d’un nouveau cap stratégique. Ce dernier avait en effet déclaré à la fin de l’été dernier, devant les législateurs du Parlement iranien, que le ministère des Affaires étrangères ne serait pas le ministère du JCPOA pendant son mandat. Il faisait alors une allusion à peine voilée à son prédécesseur, Mohammad Javad Zarif, qui avait consacré la majorité de son mandat à tenter de résoudre la crise nucléaire en négociant avec les États-Unis et les autres puissances mondiales.
Quand l’Iran doute de la levée des sanctions
Le président Raisi quant à lui, et contrairement à l’ancien président Hassan Rohani, ne voit pas cet accord d’un bon œil, et ne considère donc pas son sauvetage comme l’une de ses priorités, loin s’en faut. Toutefois, l’étonnement n’est pas de mise puisque lors de sa première prise de parole officielle en juin 2021, soit quelques mois après l’entrée en fonction de Joe Biden et le début des pourparlers à Vienne, le président Raisi avait donné le ton en déclarant qu’il ne lierait pas le sort de l’économie aux négociations du JCPOA. Le guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, avait quant à lui déclaré que les efforts vains pour trouver un accord ainsi que le retrait décidé par le président américain de l’époque, Donald Trump, en mai 2018, avaient prouvé “la folie de faire confiance à l’Occident”. Le gouvernement actuel ne semble pas croire que les sanctions économiques seront un jour levées par les États-Unis, et semblent donc agir en conséquence.
“En juin 2021 le président Raisi avait donné le ton en déclarant qu’il ne lierait pas le sort de l’économie aux négociations du JCPOA”
Par ailleurs, les responsables politiques iraniens considèrent que même si l’accord est relancé, celui-ci ne sera pas porteur de grands avantages économiques pour l’Iran, puisque la frilosité des banques et des entreprises ne disparaîtra pas du jour au lendemain. De plus, sous couvert de la surveillance du programme balistique iranien et de la protection des droits de l’homme, certaines sanctions demeureront certainement en place, ce qui conforte le gouvernement iranien dans son éloignement des négociations.
Plus proche de ses voisins que des États-Unis
De même que les États-Unis qui se désengagent de leurs batailles interminables afin de se concentrer sur leur rivalité avec la Chine, l’Iran, résolument sceptique et cynique vis-à-vis des États-Unis, semble adopter la même stratégie pragmatique en se désengageant du JCPOA pour se concentrer sur ses relations économiques avec la Chine et la Russie, le but étant de neutraliser l’impact des sanctions économiques qui pèsent sur le pays.
“De même que les États-Unis qui se désengagent de leurs batailles interminables afin de se concentrer sur leur rivalité avec la Chine, l’Iran, semble adopter la même stratégie pragmatique en se désengageant du JCPOA pour se concentrer sur ses relations économiques avec la Chine et la Russie”
L’adhésion en juillet dernier de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) réunissant la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Inde et le Pakistan, démontre la volonté de renforcer ses relations avec les pays voisins.
Pendant ce temps, le programme nucléaire se poursuit
Ainsi, bien que l’Iran ait toujours intérêt à ce que les États-Unis réintègrent l’accord, Téhéran ne semble pas vouloir se montrer conciliant. Le JCPOA ne sera pas relancé à n’importe quel prix, car le gouvernement iranien ne transigera plus sur les avantages économiques qui sont indispensables à la reprise durable de l’économie iranienne, qui est en asphyxie depuis des années (le taux d’inflation était de 45 % en août dernier). Téhéran exigera donc une garantie de non-retrait des États-Unis de l’accord, la suppression totale des sanctions et des obstacles à la normalisation du commerce de l’Iran. Le négociateur de l’Union européenne en charge de ce dossier, Enrique Mora, estime que le temps presse et s’est rendu à Téhéran pour appeler le gouvernement iranien à reprendre les négociations au plus vite.
“Le gouvernement iranien ne transigera plus sur les avantages économiques qui sont indispensables à la reprise durable de l’économie iranienne, qui est en asphyxie depuis des années (le taux d’inflation était de 45 % en août dernier)”
Le temps joue en la faveur du gouvernement Raisi puisque le programme nucléaire iranien continue son expansion et l’influence iranienne ne cesse de s’accroître dans la région.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 20/10/2021.