Il y a de quoi s’interroger. Alors qu’aussi bien le Premier ministre israélien, Netanyahu, que le président américain, Biden, ne cessent de répéter que l’Iran soutient, non seulement moralement, mais aussi financièrement, le Hamas. Que de surcroît, l’Iran arme et entraîne les membres du Hamas. Mais pour autant, aucune réaction concrète n’a été observée ni du côté américain ni du côté israélien. En effet, au lendemain du 7 octobre 2023, à un moment où le carnage de Gaza n’avait pas encore eu lieu, Israël jouissait du statut exclusif de victime et pouvait compter sur la sympathie du monde occidental pour le déploiement éventuel d’une frappe à l’encontre de l’Iran et de ses alliés. Or, il n’en fut rien. Israël se contentait de frapper deux pistes de décollage à Damas et à Alep. Aucun actif militaire iranien, ni même de ses proxies, n’a été pris pour cible.
Israël et les États-Unis sans réaction
Ce n’est que péniblement, presque cent jours après le 7 octobre, qu’Israël a assassiné un responsable logistique des gardiens de la révolution à Damas, le présentant comme un très haut gradé – quasiment du niveau du général Soleimani – alors que sa mission consistait simplement à décharger les avions militaires en provenance de l’Iran et charger des camions en partance pour Beyrouth et le Hezbollah. Difficilement qualifiable donc de haut responsable des gardiens de la révolution.
“Washington ne semble pas enclin à frapper le territoire iranien, alors même que la mort de soldats américains semblait constituée une ligne rouge”
L’Iran a cependant continué à démontrer sa puissance militaire en frappant trois jours de suite les bases de l’État islamique en Irak, en Syrie et même au Pakistan, qui est nucléairement armé, suite aux attentats commis sur son territoire. Téhéran a même placé simultanément trois satellites en orbite (deux de 10 kilos à 500 kilomètres et un autre de 100 kilos à 750 kilomètres), devenant l’un des neufs pays au monde capables d’un tel exploit. Par ailleurs, les bases américaines en Irak et en Syrie ont essuyé plus de 150 frappes ces trois derniers mois et n’ont entraîné que quelques frappes en retour des États-Unis contre les proxies iraniens. Plus encore, après une frappe de drone sur la base américaine dite Tower 22 en Jordanie, ayant entraîné la mort de trois soldats américains et une quarantaine de blessés américains, Washington n’a pas encore réagi et ne semble pas enclin à frapper le territoire iranien, alors même que la mort de soldats américains semblait constituée une ligne rouge.
La mer Rouge sous les attaques des houthis
Sur un autre champ de bataille, les houthis au Yémen ne cessent de tirer des missiles sur le Bab-el-Mandeb, le détroit séparant Djibouti et l’Erythrée, quintuplant le coût des polices d’assurance des navires transitant par le canal de Suez et forçant un tiers de la navigation destinée aux rives de la Méditerranée à contourner l’Afrique et à gagner la grande bleue par le détroit de Gibraltar. Or, il n’est de secret pour personne que les houthis ne disposent pas d’une industrie d’armement et que les drones et missiles qu’ils emploient sont incontestablement d’origine iranienne. Malgré cela, et alors même que les houthis sont qualifiés de proxies iraniens, le territoire iranien demeure sacralisé et les houthis continuent à menacer la navigation internationale.
Ainsi, malgré le fait que tous les doigts sont pointés vers l’Iran, ce pays sort totalement indemne de cette crise qui secoue le Moyen-Orient.
L’hypothèse nucléaire
Quelles en sont les raisons ? D’abord et avant tout, il convient de mentionner le rôle des pays arabes du golfe Persique. Ces derniers n’ont nulle envie de se retrouver dans une situation où la région risquerait de s’embourber dans une guerre généralisée. Leurs modèles, fondés sur un cadre attractif pour les investissements internationaux, ne survivraient pas au lancement du premier missile qui toucherait leur territoire. Ceci est d’autant plus vrai que l’Arabie saoudite, première victime du fait de ses exportations pétrolières par le biais du canal de Suez, a non seulement refusé de faire partie de la coalition internationale appelée à surveiller le Bal-el-Mandeb, mais envisage de transporter son pétrole par des camions-citernes jusqu’à la mer !
“L’Iran pourrait avoir franchi le pas et pourrait avoir assemblé les pièces d’un missile balistique nucléaire sans que la nouvelle n’ait encore été rendue publique”
Ensuite, il convient de s’interroger sur une éventualité probable, à savoir que l’Iran soit devenu nucléaire. La seule chose qui manquait à l’Iran pour devenir militairement nucléaire demeurait la militarisation de l’engin. En effet, le pays disposait déjà de l’uranium enrichi à 60 %, et les experts savent que passer de 60 % à 95 %, qui correspond à l’enrichissement militaire, ne représente pas d’enjeux techniques mais relève tout simplement d’une décision politique. Ce pays dispose par ailleurs du fuel solide et d’un arsenal capable de transporter des missiles nucléairement armés. L’Iran pourrait donc avoir franchi le pas et pourrait avoir assemblé les pièces d’un missile balistique nucléaire sans que la nouvelle n’ait encore été rendue publique… Ceci expliquant cela.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 02/02/2024.