Le mardi 4 juillet, l’Iran finalisait son entrée au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, après plus de quatorze ans d’inlassables demandes et l’annonce en septembre 2021 du début du processus d’intégration. Fondée par la Chine en 2001, cette instance multilatérale que les Occidentaux ont trop rapidement comparée à l’Otan a d’abord rassemblé la Russie, l’ensemble des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale – à l’exception du Turkménistan – puis l’Inde et le Pakistan en 2016, soit la plupart des voisins immédiats et alliés de l’Iran en Asie. L’entrée de l’Iran parachève la constitution et la consolidation de ce bloc anti-occidental, censé faire de l’Asie le moteur de l’essor d’un monde multipolaire, auquel l’Iran apporte son expertise militaire, son potentiel énergétique, et sa centralité dans la région. L’organisation chinoise, vierge de tout membre occidental, se veut en effet une alternative aux instances classiques du multilatéralisme bâti par les États-Unis depuis 1945.
Nouvelle diplomatie multipolaire
Annoncée comme une victoire diplomatique d’envergure quelques mois à peine après l’arrivée de l’administration Raïssi au pouvoir, cette intégration avait pourtant suscité des commentaires critiques de l’opinion publique iranienne. Dans la lignée du “Lion-Dragon Deal”, l’accord de coopération énergétique étalé sur 25 ans entre l’Iran et la Chine, l’entrée de Téhéran dans l’OCS renforce en effet les liens économiques, politiques et militaires entre l’Iran et la Chine, sa première partenaire économique et la principale cliente de ses hydrocarbures en Asie, mais aussi avec la Russie, avec laquelle la coopération militaire est devenue essentielle. Ce rapprochement a pu être dénoncé comme une perte d’indépendance par les Iraniens. Mais cette intégration s’inscrit dans la dynamique diplomatique plus large menée depuis plusieurs années par l’Iran afin de réduire son isolement international. Le fait que celle-ci se déploie sur plusieurs fronts illustre précisément cette nouvelle diplomatie multipolaire qui séduit de plus en plus de puissances asiatiques : consolider sa position comme puissance régionale en Asie, normaliser ses relations avec le monde arabe, réduire les tensions avec l’Occident.
Lutte contre le terrorisme, mais sans ingérence
En devenant membre permanent de l’OCS, Téhéran consolide son réseau d’alternatives pour contourner la pression économique et politique américaine. Mais cette adhésion lui ouvre d’autres perspectives, notamment sécuritaires. Dès 2001, année de sa fondation dans le contexte particulier de l’essor du terrorisme islamique mondial, l’organisation a affiché l’ambition de lutter contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme, avec une subtile différence par rapport aux instances multilatérales occidentales, celle de respecter la souveraineté des États et de rejeter le droit d’ingérence.
“L’Iran a ici un rôle particulier à jouer qui a largement favorisé sa candidature, notamment dans ses relations avec deux pays clés pour l’équilibre sécuritaire local, l’Afghanistan et le Pakistan”
La volonté de la Chine de remplacer les États-Unis dans leur rôle de “gendarmes du monde” est sans équivoque, même si l’on constate encore la permanence d’une certaine frilosité de la part des autorités chinoises pour quitter leur traditionnelle neutralité et s’impliquer davantage dans la politique régionale. L’Iran a ici un rôle particulier à jouer qui a largement favorisé sa candidature, notamment dans ses relations avec deux pays clés pour l’équilibre sécuritaire local, l’Afghanistan et le Pakistan.
La question sécuritaire afghane et pakistanaise
Le vide sécuritaire créé par le retrait des troupes américaines d’Afghanistan et le retour des talibans au pouvoir à Kaboul ont en effet considérablement accru le risque d’instabilité en Asie centrale, risque auquel l’Iran est directement confronté à travers la gestion d’un afflux migratoire considérable. Le souci de stabilisation de la région passe aux yeux de Pékin par un accroissement du rôle de l’OCS en tant qu’instance sécuritaire, où l’apport de l’Iran en matière opérationnelle, militaire et de lutte anti-terroriste est évident. À la différence des Américains, la Chine a su en effet entretenir de bonnes relations à la fois avec l’Iran et le Pakistan – qui ont tous deux rejoint le programme des Nouvelles routes de la soie – en raison de leur influence sur l’espace politique afghan. Une meilleure coordination entre ces trois pays pourrait ainsi contribuer à résoudre plus efficacement la question sécuritaire afghane, là où vingt ans de présence américaine ont échoué.
En outre, les intérêts chinois et iraniens convergent en Afghanistan : l’Iran gagne à bénéficier du soutien d’une organisation alliée pour lutter efficacement contre le terrorisme islamique, menace qu’il prend tout à fait au sérieux depuis l’émergence de Daech et qu’il sait fortement présente chez son voisin afghan via la branche de l’État islamique au Khorassan. La Chine partage évidemment cette crainte dans le contexte particulier du Xinjiang, et apprécie en retour l’aide que Téhéran peut lui apporter pour la minimiser. La présence de l’Iran au sein de l’OCS pourrait enfin lui assurer le soutien de la Chine dans ses relations difficiles avec le Pakistan, notamment dans le cadre de la lutte contre certains séparatismes “domestiques” qui menacent sa cohésion territoriale – celui des Kurdes et surtout celui des Baloutches, qui est un sujet de contentieux récurrent avec Islamabad.
Rapprochement indo-iranien
Enfin, d’un point de vue plus politique et économique, la présence de l’Iran au sein de l’OCS pourrait également lui permettre de renforcer ses relations avec l’Inde, rendues difficiles en raison de l’alignement de New Delhi sur les États-Unis sur le dossier nucléaire et de l’opposition de l’Iran à l’annexion du Cachemire. Avant l’imposition des sanctions américaines en mai 2018, l’Inde faisait en outre partie des premières clientes des hydrocarbures iraniennes. La proximité sino-pakistanaise pourrait ainsi être contrebalancée par un rapprochement diplomatique indo-iranien, une perspective qui s’inscrirait parfaitement dans la dynamique de diversification stratégique de l’Iran et qui lui rouvrirait l’immense marché du sous-continent indien.
“Puissance incontournable en Asie centrale, l’Iran a pour ambition d’agir comme un pays stabilisateur, ce qui facilitera potentiellement sa réintégration dans la communauté internationale”
Aujourd’hui, l’accession au statut de membre permanent au sein de l’OCS confirme les bénéfices de cette orientation pour l’Iran, et son souci de consolider des alliances alternatives au monde occidental. Dans cette lignée, Téhéran viserait à présent une intégration au sein des BRICS – qui regroupent l’Afrique du Sud et le Brésil, en plus de la Chine, de la Russie et de l’Inde. Puissance incontournable en Asie centrale, l’Iran a pour ambition d’agir comme un pays stabilisateur, ce qui facilitera potentiellement sa réintégration dans la communauté internationale.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 05/07/2023.