Cette semaine, l’Etat hébreu et ses nouveaux alliés arabes signataires des « Accords d’Abraham » ont multiplié les rencontres tripartites : lundi et mardi, c’est l’Egypte, premier pays arabe à avoir fait la paix avec son voisin, qui recevait Israël et les Emirats Arabes Unis. Ce dimanche, une réunion des ministres des Affaires étrangères émiratis, marocains et bahreïnis, en présence du Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, est prévue sur le sol israélien, une véritable première historique.
Aujourd’hui, la nouvelle réalité diplomatique du Moyen-Orient voit toutes ces puissances régionales, qui jadis refusaient d’entretenir des relations diplomatiques avec l’Etat hébreu avant une résolution du conflit israélo-palestinien, désormais unies par de nombreux intérêts communs et plus encore, liguées contre leur traditionnel allié, les Etats-Unis. Aucune ne les a soutenus dans leur effort pour isoler la Russie ou stabiliser le cours du pétrole, qui connaît une hausse sans précédent. Car l’Iran, encore et toujours, demeure la pomme de discorde entre les Etats-Unis et les chancelleries arabes et israéliennes, très inquiètes de voir les négociations sur l’accord nucléaire enfin aboutir.
Laissant de côté leurs différends idéologiques, ces pays se sont convaincus que l’union faisait la force. Ces sommets diplomatiques constituent donc un message collectif adressé à la fois aux Etats-Unis et à l’Iran, dont le contenu est clair : hors de question de laisser advenir un accord jugé par Israël « moins contraignant que le précédent et qui plongerait le Moyen-Orient dans la violence », un accord qui n’interrogerait pas le programme balistique de l’Iran ou ses proxies régionaux, un accord enfin qui pourrait être signé si les Etats-Unis, sous pression de Téhéran, acceptaient de retirer le corps des Gardiens de la Révolution de la liste des organisations terroristes.
Cet activisme régional, adjoint à l’effort de médiation offert entre l’Ukraine et la Russie, démontre la volonté d’Israël d’incarner désormais un pivot diplomatique dans la région, capable de jouer les honnêtes courtiers entre les Etats-Unis et le monde arabe, en lieu et place de l’Egypte, pourtant traditionnellement dévolue à ce rôle de médiateur. Outre l’évocation du dossier iranien, Le Caire a d’ailleurs profité de ces réunions pour renforcer sa relation bilatérale avec Tel-Aviv. Sa sécurité alimentaire est en effet particulièrement menacée par la guerre en Ukraine puisqu’elle importe 85% de son blé et 75% de son huile de tournesol de Russie et d’Ukraine, tout comme son économie touristique frappée par l’absence des touristes russes.
Il n’est cependant pas certain que les objectifs de ces réunions aboutissent. Réunir les Emirats et les Etats-Unis autour d’une même table ne suffira sans doute pas à convaincre Abou Dhabi d’augmenter sa production d’hydrocarbures ou de renoncer à rétablir ses relations avec Bachar El-Assad, deux points de tension réelle avec Washington. En outre, l’administration Biden gardera sans doute une certaine rancune envers ses divers relais régionaux, y compris Israël, qui auront soigneusement évité de condamner la Russie pour son offensive en Ukraine. Elles ne convaincront donc pas les Etats-Unis, à la recherche de nouveaux alliés face à Moscou, de maintenir l’Iran dans son isolement, dans un contexte international où son retour sur le marché de l’énergie paraît plus impératif que jamais.
Face à cette surprenante union sacrée, l’Autorité palestinienne apparaît toujours plus isolée, même si Antony Blinken doit rencontrer Mahmoud Abbas à Ramallah. C’est là une preuve supplémentaire que, pour la majorité des Etats arabes du Moyen-Orient, la possibilité d’un Etat palestinien est définitivement devenue une chimère, une utopie sacrifiée sur l’autel de leur obsession iranienne et des nécessaires rééquilibrages géopolitiques accélérés par la guerre en Ukraine.
Passer le conflit israélo-palestinien au second plan de leurs priorités peut cependant constituer une grave erreur stratégique. En effet, les peuples arabes ne se montrent pas aussi ouverts que leurs dirigeants sur la question. En Egypte, l’hostilité envers Israël demeure suffisamment forte pour que la présidence ait omis de mentionner le Premier ministre israélien lors du bilan du sommet de mardi dernier. Le « coup de poignard » qu’ont constitué les Accords d’Abraham a tant et si bien relancé le combat palestinien, que l’Etat hébreu redoute une explosion des violences au cours du mois à venir, religieusement central pour les trois monothéismes puisqu’il correspond à la célébration de la Pâques chrétienne, de la Pessa’h juive et du Ramadan musulman. Lors des rencontres du nouveau triumvirat israélo-arabe, le risque sécuritaire semblait être le dernier de l’ordre du jour, alors que la menace est réelle dans un quotidien déjà tendu. Israël a ainsi essuyé récemment une attaque au couteau et à la voiture bélier qui a fait 4 morts.
Une paix serine ne semble pas être d’une actualité immédiate dans cette partie du monde connue pour ses « guerres éternelles ».
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 27/03/2022.