Madagascar, sixième pays le plus pauvre du monde, fait partie de ces terres victimes de l’appétit d’élites corrompues et de l’indifférence de la communauté internationale envers le sort de leur population. Cette île, ancienne colonie française qui a accédé à l’indépendance en 1960, cristallise en effet tous les échecs des politiques occidentales d’aide au développement, la complaisance des grandes puissances envers des oligarchies locales kleptocratiques, l’absence de volonté politique pour proposer des réformes structurelles efficaces. La Banque mondiale fait régulièrement état de la succession catastrophique de crises à la fois politiques, économiques et sociales qui entretiennent la vulnérabilité du pays, et promettent surtout de se multiplier et de s’aggraver. Dans son rapport « Perspectives économiques de Madagascar : surmonter la tempête, accélérer les réformes » publié en 2022, l’institution internationale soulignait les multiples freins structurels entravant son développement : faible potentiel de croissance, absence de réformes audacieuses pour stimuler l’investissement privé et la création d’emplois, défaillance de la gouvernance du secteur public, manque de résilience face aux chocs économiques. Ainsi, Madagascar paye encore en 2023 les conséquences de la pandémie de Covid-19 survenue il y a trois ans. Le choc induit par les confinements successifs a entraîné la pire récession de l’histoire du pays, estimée trois fois plus profonde que dans le reste de l’Afrique subsaharienne et portant le niveau de pauvreté au taux historique de 80,7 %. Les métiers du secteur tertiaire comme le tourisme et le commerce, essentiels pour l’économie locale, ont été particulièrement touchés.
Mais les analystes constatent que la situation d’avant crise plaçait déjà Madagascar en état d’extrême vulnérabilité. On observait ainsi peu de progrès en matière de réduction de la pauvreté, une croissance qui n’avait atteint que 3,5 % en moyenne sur les dix dernières années, chiffre à peine supérieur à celui de la croissance démographique. Ce phénomène est d’ailleurs un problème récurrent pour l’île puisqu’en quarante ans, l’accroissement démographique a systématiquement dépassé le niveau de la production agricole, éloignant d’autant plus l’objectif d’auto-suffisance alimentaire. Toujours selon la Banque Mondiale, il faudrait ainsi près de sept décennies à Madagascar pour égaler le Rwanda, qui se trouvait au même niveau de développement économique au début des années 2000.
Ce contexte économique et social se double d’une forte instabilité institutionnelle, que les récentes révélations sur la double nationalité du président de la République malgache Andry Rajoelina ont exacerbé à quatre mois du prochain scrutin présidentiel. Elu en 2018, l’actuel président avait acquis la nationalité française par naturalisation en 2014, décision publiée au Journal officiel le 21 novembre de la même année suite à un décret signé deux jours plus tôt par le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, et son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. La famille d’Andry Rajoelina aurait bénéficié de la même procédure, facilitée par le fait que le président s’estime français par affiliation depuis son arrière-grand-père.
Tout ceci pourrait n’être qu’un détail si l’information, jamais confirmée avant juin dernier, n’avait pas suscité le débat durant près de 10 ans et ne remettait pas aujourd’hui en cause la légitimité d’Andry Rajoelina à occuper son poste. En effet, depuis son retour sur la scène politique de son pays, le président a volontairement entretenu un flou sur son statut de binational, certes partagé par de nombreux Malgaches, mais cependant peu compatible avec son image de président nationaliste opposé à l’ancienne puissance coloniale, la France, notamment sur le dossier de la restitution des îles Eparses.
Le droit confirme d’ailleurs cette possible illégitimité. En effet, l’article 42 du code de la nationalité malgache stipule à son titre III consacré à la perte et à la déchéance de nationalité : « perd la nationalité malgache, le Malgache majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ». Néanmoins, cette perte de nationalité n’est pas automatique si la personne est inscrite sur les listes du service militaire, et à moins de l’avoir expressément demandée au gouvernement dans un délai de 15 ans. En l’attente, ou en l’absence de toute demande, les deux nationalités peuvent être conservées. Le cas d’Andry Rajoelina est cependant particulier, puisque sa naturalisation française a été demandée et obtenue à 40 ans, quand son inscription sur les listes de recensement malgache remonterait a priori à une vingtaine d’années. Certains juristes estiment ainsi que la perte de sa nationalité malgache n’est plus soumise à l’autorisation du gouvernement, mais devrait s’appliquer de jure en vertu de l’article 42. Si cette interprétation était retenue, le mandat initié en 2018 serait donc invalidé et pourrait logiquement s’achever sur une procédure de destitution, rendant impossible toute candidature pour novembre 2023.
En plus d’être morale et éthique, la question est d’autant plus importante pour l’opposition que le bilan du mandat d’Andry Rajoelina est désastreux. Alors que la population malgache s’enfonce dans la pauvreté, vit avec moins de 1,67 euros par jour et est en voie de déshumanisation, le président sortant s’est essentiellement concentré sur des projets pharaoniques et totalement décalés par rapport aux enjeux structurels et écologiques de Madagascar : construction d’un téléphérique à Antananarivo pour la modique somme de 152 millions d’euros – avec l’aide de prêts du Trésor français et de la BPI ! – construction de la ville nouvelle de Tanamasoandro, projet d’importation d’animaux sauvages du continent africain pour développer les safaris sur l’île, qui regorge pourtant d’une biodiversité rare, endémique, et surtout vulnérable. S’y ajoutent des décisions économiques incohérentes, comme l’instauration en 2021 d’un prix plancher à l’exportation de 250 dollars/le kilo pour la vanille, alors que le cours mondial est compris entre 150 et 180 dollars et que ce secteur constitue la principale ressources de devises pour le pays ! Outre une absence totale de respect du droit et des institutions, notamment judiciaires, dénoncées pour leur corruption, ces décisions ubuesques ont contribué à refroidir les marchés comme les investisseurs étrangers et à maintenir Madagascar dans la stagnation. Suite aux soupçons de détournements de fonds alloués lors de la pandémie de Covid-19, aucune grande puissance ne souhaite désormais s’investir financièrement dans le pays sans un encadrement assuré par l’ONU.
L’état de déshérence politique, économique et social dans lequel se trouve Madagascar actuellement, et qui doit beaucoup à Andry Rajoelina, ne doit cependant pas occulter l’urgence extrême qu’il y a à soutenir ce pays. Outre la résolution des crises systémiques en matière de sécurité alimentaire et environnementale, il est en effet nécessaire d’assurer à l’île un Etat de droit, fonctionnel, doté d’institutions solides et de favoriser l’émergence d’élites politiques responsables. D’une pauvreté jugée irréversible, Madagascar n’en reste pas moins convoitée pour ses immenses richesses par des puissances exogènes pas toujours bien intentionnées. La France a ici un rôle à jouer, certes rendu difficile par son passé colonial, mais néanmoins indispensable pour préserver cette île stratégique du canal du Mozambique et ses ressources naturelles exceptionnelles des ambitions chinoises et russes dans l’océan Indien.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans L’Atlantico du 30/07/2023.