Après plusieurs mois d’arrêt total, les négociations autour du Joint Comprehensive Plan of Action devraient reprendre le 29 novembre prochain à Vienne. Ce sera l’occasion pour l’Iran de déployer son nouveau cap stratégique, sur lequel il a déjà donné plusieurs indices : ne plus faire de l’accord de Vienne le cœur de sa diplomatie, et rester intransigeant face aux grandes puissances occidentales. La République islamique estime en effet avoir assez de poids pour obtenir beaucoup de ces négociations (entre autres une levée de toutes les sanctions à son égard) en échange de restrictions sur son programme nucléaire. Dans le même temps, en réponse aux menaces d’Israël en faveur d’une action plus offensive, Téhéran se déclare prêt à la guerre pour défendre son avancée technologique.
En portant les conservateurs au pouvoir en Iran, l’alternance politique a en effet renforcé la ligne du Guide Suprême Ali Khamenei, de longue date contempteur de l’Occident et de l’accord de Vienne, en faveur d’un positionnement maximaliste et inflexible face à Washington. Etirer le temps à l’infini, renforcer sa maîtrise nucléaire et son emprise régionale constituent, on le sait, la stratégie choisie par l’Iran pour « intimider » les Etats-Unis, et réussir à peser dans les négociations. C’est un pari engagé de longue date, et soutenu par ses rapprochements stratégiques avec la Chine, la Russie, et ses voisins d’Asie centrale pour stabiliser son économie dévastée par trois ans de sanctions. Téhéran a concrétisé ce choix tactique en systématisant depuis deux ans sa sortie progressive des termes de l’accord, et en limitant l’accès des inspecteurs de l’ONU et de l’AIEA à ses sites nucléaires sensibles.
Cependant, cette stratégie pourrait s’avérer contre-productive et n’obtenir ni retrait des sanctions, ni garanties encadrant le nouvel accord, car le camp adverse des Occidentaux semble toujours aussi déterminé à imposer ses propres exigences à l’Iran.
En effet, après six séries de pourparlers, aucune des questions clés sur le rythme de levée des sanctions et leur ampleur, ainsi que sur la capacité de Téhéran à revenir sur ses progrès nucléaires, n’a trouvé d’issue satisfaisante. En outre, si l’Iran réclame la suppression de toutes les sanctions selon un processus vérifiable, les Etats-Unis n’entendent pas revenir sur celles qui précédaient l’ère Trump, relatives au soutien allégué au terrorisme et aux atteintes portées aux droits de l’homme en Iran.
Plus grave encore, le statut même de l’accord de Vienne – simple accord politique, et non un traité juridiquement contraignant – ne permet pas d’introduire les garanties souhaitées par l’Iran pour empêcher tout futur retrait américain. Selon toutes vraisemblances, à l’instar de son prédécesseur Barack Obama, Joe Biden ne parviendra pas à obtenir la conversion du texte en traité auprès des sénateurs américains – la majorité des deux tiers étant requise, et la Chambre Haute ne comptant qu’une moitié d’élus démocrates – tant le sujet divise la classe politique américaine, et jusque dans son propre camp.
Tous ces clivages compromettent fortement les chances de succès des négociations du 29 novembre, d’autant plus que les conservateurs demeurent persuadés que, grâce au soutien économique de la Chine, l’Iran survivra « avec ou sans l’accord ». Il apparaît donc clair qu’il ne s’engagera dans les négociations qu’à la condition que celles-ci lui procurent un véritable bénéfice. Le bras de fer risque de se poursuivre inlassablement, entre Américains prêts à être fidèles aux termes du JCPoA « si les circonstances le leur permettent » – c’est-à-dire si l’Iran cède à leurs exigences – et Iraniens convaincus qu’après un premier échec, l’accord de Vienne n’a plus lieu d’être sans une révision totale.
Or, pendant ce temps, le temps presse. En effet, si aucun nouvel accord n’est conclu au début de l’année 2022, il ne sera plus possible de conserver le JCPoA en l’état, tant l’Iran maîtrisera, d’ici là, la technologie nécessaire pour se doter d’une bombe nucléaire en très peu de temps. Cette dernière série de négociations sera donc véritablement celle de la dernière chance, car son échec entraînerait l’enterrement définitif de l’accord, et pourrait même raviver le risque d’une profonde déstabilisation régionale. Tout dépendra de la ligne politique adoptée par chacune des parties, et de leur capacité à accepter des compromis.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 14/11/2021.