Au moment où nous publions ces lignes, les résultats des élections législatives israéliennes ne sont pas encore tombés. Pour autant, on peut d’ores et déjà estimer sans trop se tromper que cette échéance sera décisive pour l’avenir politique de Benjamin Netanyahu. De deux choses l’une, soit le Premier Ministre sort battu par son adversaire Benny Gantz, avec lequel il est au coude à coude dans les sondages, et dès lors plus aucune immunité ne sera envisageable pour le protéger des poursuites judiciaires qui le menacent (« Bibi » a été inculpé en février dernier pour corruption, fraude et abus de confiance). Soit il est réélu de justesse, et entamera son nouveau mandat dans des conditions bien difficiles.
Conscient du caractère serré et crucial de l’enjeu, Netanyahu a multiplié les promesses de campagne volontiers provocatrices afin de mobiliser l’électorat de droite, capable de faire basculer l’élection en sa faveur. Néanmoins, celles-ci ont davantage donné l’impression d’un candidat lancé dans une fuite en avant désespérée, qui de plus a accumulé les signes de malchance.
Ainsi, une semaine avant l’élection, Netanyahu a annoncé son intention d’annexer l’ensemble des colonies juives de la vallée du Jourdain s’il était élu. A peine 48h avant l’ouverture des bureaux de vote, il a donné le feu vert à la « légalisation » d’une colonie sauvage de Cisjordanie, juste à côté de la ville arabe de Jericho. Deux décisions déclarées illégales par les Palestiniens bien sûr, mais aussi par la communauté internationale qui a toujours condamné l’occupation israélienne de la Cisjordanie à travers plus d’une dizaine de résolutions de l’ONU. Même la classe politique israélienne, pourtant favorable à l’annexion, a jugé le timing électoraliste.
Le fait est qu’au terme d’une campagne sans dynamisme mais particulièrement agressive, Netanyahu n’a pas grand-chose pour faire valoir son action politique, et aucun projet politique nouveau si ce n’est une surenchère ultra-nationaliste. La suppression par Facebook de sa page officielle, après un message qualifié d’incitation à la haine à l’égard des arabes israéliens, est à ce titre révélateur.
Mais c’est surtout la distance délibérée que Donald Trump semble avoir prise avec son allié israélien qui a torpillé son principal argument : sa proximité avec le président américain pour influencer sa politique au Moyen-Orient en faveur des intérêts d’Israël. Les 8, 9 et 10 septembre semblent à cet égard laisser apparaître un étrange timing.
Le 8 septembre, Netanyahu a ainsi échoué à faire voter un amendement autorisant les militants du Likoud à filmer les bureaux de vote pour intimider les électeurs arabes.
Le 9 septembre, alors le Premier Ministre sortant achevait un exposé « dévoilant » une nouvelle centrale nucléaire iranienne, et appelait à un renforcement des pressions internationales contre l’Iran, Trump a déclaré qu’il n’excluait pas de rencontrer le président Hassan Rohani. On sait à quel point ce rapprochement avec l’Iran panique littéralement la droite israélienne. Selon le journaliste israélien Barak Ravid, Netanyahu avait « désespérément » tenté de joindre au téléphone le président américain durant le G7 à Biarritz, après avoir appris la visite surprise de Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien. Résultat : sa présentation a été considérée par la plupart des observateurs politiques israéliens comme un « pétard mouillé », ce qui l’a cruellement décrédibilisé.
Le 10 septembre, des roquettes du Hamas ont obligé un de ses meetings à se disperser dans la ville d’Ashdod. L’humiliation fut double, puisque les tirs de roquettes qui se poursuivent dans le sud d’Israël sont considérés comme le symbole de l’échec de Netanyahu en matière de sécurité.
Et quelques heures plus tôt, au moment même où Netanyahu annonçait son intention d’annexer la vallée du Jourdain avec l’étroite collaboration de l’administration Trump, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale du président américain, était limogé. Or M. Bolton, faucon néo-conservateur acharné à déclencher un conflit militaire entre l’Iran et les Etats-Unis, était sans doute le meilleur allié de « Bibi » à la Maison-Blanche. Que ce départ ait été le résultat d’une démission spontanée de Bolton, en constant désaccord avec Trump, ou d’une décision exclusive du président, cette annonce fut sans doute le pire revers pour Netanyahu. Cet événement a prouvé que le président américain penchait de plus en plus vers une nouvelle forme d’isolationnisme, bien plus en phase avec ses convictions profondes. Cependant, un an avant les élections présidentielles, Trump s’est sans doute souvenu qu’il aurait besoin du camp républicain, et notamment des soutiens d’Israël dans ses rangs, pour assurer sa réélection. Sous cet angle, on comprend davantage le gage qu’il a accordé samedi 14 septembre à l’allié israélien, en annonçant des discussions avec Netanyahu en vue d’un possible « traité de défense mutuel ». Car Netanyahu compte sans doute encore sur l’appui américain pour son plan d’annexion du Jourdain. Mais le silence assourdissant de Trump, d’ordinaire prompt à le soutenir sur Twitter, lors de ces dernières semaines de campagne, montre surtout le Premier Ministre comme un homme clairement « lâché » par son principal allié, désormais incapable de se présenter comme le seul candidat à même de négocier avec lui.
En désespoir de cause, Netanyahu s’est rendu à Sotchi le 12 septembre dans l’espoir d’afficher un autre puissant allié à ses côtés, en la personne de Vladimir Poutine. Mais là encore, le désir de Trump de se rapprocher de la Russie sur le plan économique, qui pourrait entraîner un alignement russe sur les positions américaines, notamment à l’égard de l’Iran, n’arrangerait en rien les affaires de Netanyahu. Encore une erreur de timing…
On saura, à l’issue de cette journée, dans quelle mesure « Bibi » aura les coudées franches pour former un nouveau gouvernement. Mais rappelons qu’en Israël, peu après l’échec de Netanyahu à former une coalition fin mai, les éditorialistes avaient noté la déception de Trump, qui méprise les « losers » et se montre peu enclin à leur accorder son temps. En cas de victoire à l’arraché, et encore plus en cas d’échec total, Netanyahu fera sans doute face à une très grande solitude.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 18/09/2019.