En fin de semaine dernière, les Etats-Unis ont averti du « niveau sans précédent de soutien militaire et technique » offert par la Russie à l’Iran. L’avertissement avait autant valeur de mise en garde pour ces deux puissances alliées en Ukraine, que d’alerte pour les Occidentaux contre les risques d’un tel « partenariat militaire à grande échelle. » On sait depuis l’été 2022 que l’Iran a fourni des drones de pointe aux forces russes en Ukraine, fait confirmé cet automne. On savait moins quelles contreparties pouvaient être fournies par la Russie.
John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de l’exécutif américain, a pris soin de détailler l’étendue de ce partenariat accru. Moscou s’apprêterait ainsi à fournir à l’Iran des équipements « sophistiqués », des hélicoptères, des systèmes de défense antiaérienne et des avions de combat. Selon les services de renseignements américains, des pilotes iraniens auraient commencé à s’entraîner en Russie sur des Soukhoï SU-35 et Téhéran pourrait recevoir ces avions l’année prochaine, augmentant significativement ses capacités aériennes.
Pour les Etats-Unis, c’est une source croissante d’inquiétude de voir la Russie acquérir de plus en plus d’armements de pointe auprès de Téhéran, notamment des missiles sol-sol. Les rumeurs concernant la livraison de plusieurs milliers de missiles balistiques iraniens et la création d’une ligne de production conjointe de drones qualifiés de « mortels » les inquiète également. La vérité est que l’armée russe se porte mal en Ukraine. En difficulté pour maintenir des livraisons constantes d’armes à ses troupes sur le terrain, la Russie se tourne donc une fois de plus vers l’Iran pour s’équiper. Si John Kirby, porte-parole du conseil de sécurité nationale, a confirmé que de nouveaux transferts d’armes n’avaient pas été formellement observés, la seule perspective de nouvelles livraisons en Ukraine fait craindre un renforcement des efforts de Poutine pour affaiblir la population ukrainienne et les forces de l’OTAN.
Car il s’agit bien là d’une nouvelle guerre froide qui se joue en Ukraine, où les axes se dessinent très clairement : Occident d’un côté, avec les Etats-Unis en tête de pont – un nouveau « paquet » d’aide militaire à l’Ukraine, comprenant des munitions pour l’artillerie ukrainienne et évalué à 275 millions de dollars, a été confirmé par l’administration Biden en fin de semaine dernière. De l’autre, ce qu’on pourrait appeler l’axe des « Etats parias », pour reprendre la terminologie américaine (Washington estimait d’ailleurs que la Russie s’était aussi tournée vers la Corée du Nord pour renforcer ses équipements militaires), qui compte de fait aujourd’hui la Russie et l’Iran, deux pays sous sanctions occidentales, ostracisés sur la scène internationale, en grande difficulté domestique ou militaire, et qui s’opposent au projet idéologique de l’Occident.
Ces échanges actent l’approfondissement de la coopération entre l’Iran et la Russie en matière de défense, et pourraient avoir de graves implications pour la sécurité régionale, aussi les Etats-Unis cherchent-ils à « court-circuiter » ces projets. L’administration Biden aurait ainsi décidé de nouvelles sanctions ciblées contre les entités russes impliquées dans l’achat d’armes et de drones iraniens, ainsi que dans la formation des forces russes à leur utilisation en Ukraine pour « des attaques de grande envergure contre les infrastructures civiles ». Selon le communiqué de la Maison-Blanche, les forces aérospatiales russes (VKS) et celle du 924ème centre étatique pour l’aviation sans pilote et du commandement du transport militaire (VTA) seraient visées. Selon John Kirby, « d’autres mesures de contrôle des exportations » censées « restreindre l’accès de l’Iran à des technologies sensibles » seraient également à l’étude.
Etonnement, le soutien manifeste et réciproque de l’Iran à la cause russe n’a pas entraîné la fin des négociations sur le nucléaire iranien. De fait, la voie diplomatique en vue de faire renaître le JCPoA reste ouverte. Mais les Etats-Unis ont fait évoluer leur stratégie, qui consiste désormais à augmenter la pression internationale contre l’Iran en divulguant la réalité de son partenariat avec la Russie, afin de le détourner de cette cause perdue et tenter de sauver le JCPoA. Un diplomate onusien a d’ailleurs rappelé publiquement que la livraison de missiles et de drones entre l’Iran et la Russie serait une violation directe de la résolution 2231 adoptée en 2015 par le Conseil de Sécurité qui officialise l’accord de Vienne entre l’Iran et six grandes puissances mondiales. En tant que signataires, la Russie, mais aussi l’Iran, rompraient donc avec cet engagement, menaçant la survie de l’accord de Vienne. Alors qu’en Asie, nombreux sont les pays à se détourner de la Russie, y compris la Chine et les anciennes républiques soviétiques, il apparaît contre-productif pour Téhéran de poursuivre une alliance qui contribuera à renforcer son isolement économique et politique.
Le régime iranien fait par ailleurs face à une autre pression : sa propre population. En dépit d’une répression dont la violence a franchi un cap rarement égalé avec l’organisation d’exécutions publiques de manifestants, les Iraniens n’en sont que plus déterminés à poursuivre l’insurrection. Dans un tel contexte, le régime sera donc en grande difficulté pour satisfaire la demande russe en matériel militaire. De tels partenariats, connus d’un public connecté et informé en dépit des efforts de la censure, s’avèrent être des calculs court-termistes et contribuent autant que l’usage de la terreur à rapprocher un régime à bout de souffle de sa chute.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 18/12/2022.