Le sort de l’Iran et de son économie ne pourront plus dépendre de l’issue des négociations sur le nucléaire iranien, et celles-ci ne seront plus la priorité numéro 1 de l’agenda diplomatique. Tel est, en substance, le nouveau principe qui guidera désormais l’administration Raïssi, confirmé par le nouveau président dès sa première conférence de presse et par Hossein Amir-Abdollahian, son ministre des Affaires étrangères, qui se refuse catégoriquement à devenir « le ministre du JCPoA » durant son mandat.
C’est là un changement radical par rapport à la politique menée par l’ancien président Hassan Rohani, réformateur déterminé à apaiser les relations avec l’Occident. Pour sa part, Ebrahim Raïssi le conservateur semble avoir pris acte de l’impasse dans laquelle cette ambition conduisait son pays. C’est un fait qu’en dépit de leur reprise en avril dernier, et pas moins de six cycles de réunions, les négociations demeurent toujours au point mort. Certes, l’interruption qu’a constitué l’élection présidentielle iranienne l’explique en partie, et en héritant du travail de ses prédécesseurs, la nouvelle administration avait souhaité l’analyser et composer une nouvelle équipe de négociateurs avant de s’engager plus avant. Mais sans doute n’était-ce là qu’une simple temporisation. Résoudre ce dossier, qui s’est transformé en crise internationale sous Donald Trump mais portait déjà en lui les germes des discordes et déceptions à venir, n’aura finalement été qu’une épine dans le pied de l’Iran dès sa ratification à Vienne en juillet 2015.
Quand l’Occident traîne des pieds
L’accord reste en effet un exemple éloquent du manque de fiabilité des Américains. Si l’Iran a bien respecté ses engagements en matière nucléaire pour se conformer au texte, les Etats-Unis ont été loin de respecter les leurs. Même après la signature du traité en 2015, l’administration Obama a maintenu un certain nombre de sanctions – exigence de visa pour tout ressortissant étranger ayant transité par l’Iran, ou encore restrictions bancaires imposées par l’OFAC, qui ont considérablement affecté la normalisation du commerce extérieur de l’Iran. D’après l’ancien directeur de la Banque centrale iranienne, les bénéfices économiques du JCPoA auraient été, de 2015 à 2018, proches de zéro.
Par ailleurs, en dépit de l’alternance politique à Washington en janvier 2021, la réticence des Etats-Unis à lever les sanctions en vigueur sous Donald Trump a été amèrement constatée. Les officiels iraniens ne croient plus à une quelconque volonté de leur part sur ce point, pas plus qu’à un quelconque avantage financier pour l’Iran, si d’aventure le traité rentrait de nouveau en vigueur. La frilosité des banques et des entreprises étrangères pour investir en Iran témoigne d’ailleurs du manque de confiance qu’inspire la position américaine.
Cette analyse a dès lors incité la nouvelle administration iranienne à élaborer une stratégie capable de neutraliser l’impact des sanctions sur l’économie, et surtout viable en dépit de leur maintien. Pour ce faire, le regard de l’Iran a changé de direction, se tournant résolument vers l’Est pour chercher d’autres partenaires : ses voisins régionaux et surtout deux grandes puissances, la Chine et la Russie. Une stratégie pleinement approuvée par le Guide Suprême Ali Khamenei, qui n’a jamais caché son scepticisme face au rapprochement avec l’Occident.
Le temps, un allié précieux
Depuis la reprise des négociations, la position de Téhéran a pourtant eu le mérite d’être claire et immuable, comme l’a rappelé le vice-ministre des Affaires étrangères iraniens, de passage à Paris fin septembre : rien de plus qu’un JCPoA appliqué à la lettre par toutes les parties (excluant de facto tout débat sur la stratégie régionale de l’Iran ou son programme balistique) assorti de trois conditions non négociables : une levée pleine et entière des sanctions supprimées par le JCPoA, et de toutes celles mises en place depuis son entrée en vigueur en janvier 2016 ; le respect du traité garanti par les Américains ; enfin un paragraphe 29 (sur la normalisation du commerce international iranien) clarifié.
Pour tenir fermement cette position, la nouvelle administration Raïssi dispose désormais d’un puissant allié : le temps. La lenteur des négociations lui laisse effectivement toute latitude pour poursuivre son programme nucléaire, et donc faire basculer le rapport de force en sa faveur. Par ailleurs, l’Iran est d’autant moins pressé que son économie s’est montrée plus résiliente que prévu face aux sanctions. En dépit du plus haut taux d’inflation jamais enregistré en vingt ans (45,2%), et d’une dégradation des conditions de vie des Iraniens, il semblerait qu’une sortie de crise soit en vue, du moins d’après les données de la Banque centrale iranienne. Les exportations d’hydrocarbures iraniennes pour 2020 ont largement dépassé celles des deux années précédentes, atteignant certains mois 1,5 millions de barils/jours. Les revenus pétroliers réalisés sur six mois en 2021 seraient déjà équivalents à ceux réalisés sur l’année précédente, une excellente nouvelle alors que le cours du baril de brut a déjà plus que doublé et pourrait atteindre 100 dollars.
Ce contexte, assorti à son nouveau positionnement stratégique, durcira certainement l’attitude de l’Iran lors des négociations. La nomination à la tête de la nouvelle équipe diplomatique d’Ali Bagheri Kani, ancien négociateur sous Mahmoud Ahmadinedjad, et farouche opposant au JCPoA perçu comme une atteinte à la souveraineté et à l’indépendance de l’Iran, envoie à cet égard un signe clair. La reprise des négociations risque dès lors de s’opérer sous un tout autre mode, où l’administration Raïssi exigera une évaluation mesurable et objective des propositions issues des discussions. Une façon de plus d’étirer le temps en faveur de l’Iran.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 10/10/2021.