Depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Biden et la reprise des négociations sur le nucléaire iranien, il est de notoriété publique qu’Israël cherche à fourbir ses armes contre l’Iran et à l’empêcher de devenir une puissance nucléaire, un fait dont l’imminence ne fait plus de doute pour les scientifiques et analystes.
Dans cette optique, l’Etat hébreu a multiplié dès l’automne dernier les attaques ciblées contre des personnalités et sites stratégiques iraniens : assassinat de Mohsen Fakrizad
eh, le responsable du programme nucléaire de la République islamique, en novembre 2020, frappes contre les soutiens iraniens en Syrie ainsi que contre le site nucléaire de Natanz, cyber-attaques ou encore guérilla navale dans le Golfe Persique depuis 2019, où le naufrage du Kharg, l’un des principaux navires de guerre iraniens, avait constitué une lourde perte pour Téhéran.
Cet activisme militaire s’est doublé de manœuvres diplomatiques auprès des Etats-Unis, manifestement désireux d’aboutir à un accord avec l’Iran autrement que par la voie militaire ou celle des sanctions économiques. En mai dernier, une délégation israélienne avait ainsi rencontré le Secrétaire d’Etat Antony Blinken, Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale, ainsi que Bill Burns, le directeur de la CIA, pour rappeler la position d’Israël à l’égard du JCPoA et sa ferme intention d’empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire. Cette délégation était alors repartie de Washington convaincue qu’Israël n’obtiendrait aucun soutien évident de la part des Américains en cas de conflit avec la République islamique.
Le gouvernement de Naftali Bennett s’est ainsi inscrit dans la lignée de celui de son prédécesseur Benjamin Netanyahu en poursuivant une rhétorique ultra-sécuritaire et martiale à l’encontre de Téhéran et en martelant à l’envi que l’Etat hébreu serait prêt à agir seul pour défendre sa survie. Le vote d’un nouveau budget dédié à la défense, et l’accélération de l’élaboration des plans d’attaque des Forces armées israéliennes contre l’Iran, confirmeraient l’imminence d’une action militaire qui n’attendrait qu’un ordre en haut lieu pour être lancée.
Au-delà du discours ultra-nationaliste à visée électorale, on peut cependant émettre, par simple réalisme politique, quelques réserves vis-à-vis de cette ambition. En effet, dans quelle mesure Tel-Aviv serait-elle véritablement prête à embraser de nouveau le Moyen-Orient face à un adversaire particulièrement redoutable, sans garantie de succès, et surtout sans l’appui américain ?
Les relations israélo-américaines restent en effet dominées, et ce depuis la fondation de l’Etat hébreu, par un paradigme très simple, qui ôte à Israël toute indépendance d’action dans son « étranger proche » dès lors que celle-ci menace potentiellement les stratégies et les intérêts américains. Selon l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, ce principe n’offre donc que deux possibilités : que les Etats-Unis défendent directement Israël, ou qu’ils n’entravent pas l’Etat hébreu. De fait, jamais aucune administration américaine, y compris celle de Georges W. Bush pourtant engagée contre « l’Axe du Mal » dont l’Iran faisait partie au début des années 2000, n’a souscrit à la seconde option. Aujourd’hui, c’est bien parce que tout engagement militaire israélien contre l’Iran contreviendrait gravement à deux objectifs de l’administration Biden – l’encadrement du programme nucléaire iranien par la voie diplomatique plutôt que militaire, et la réduction de la présence militaire américaine au Moyen-Orient – que Tel-Aviv ne parviendra pas à obtenir le feu vert de Washington.
L’autre limite allant à l’encontre d’une éventuelle intervention israélienne concerne la réalité de ses capacités militaires, certes indéniables dans les domaines aérien et
naval, mais bien plus critiques en matière d’infanterie. Si la supériorité israélienne reste suffisante pour mettre l’Iran en difficulté en dépit de ses formidables progrès dans l’usage des drones et des missiles balistiques, il en va tout autrement d’opérations terrestres face à une puissance régionale qui a patiemment bâti son expertise et son réseau d’influence depuis quarante ans à travers tout le Moyen-Orient. La cuisante défaite de Tsahal face au Hezbollah au Liban en 2006, après une guerre-éclair de 33 jours, l’a d’ailleurs attesté avec éloquence. Depuis lors, même les officiels israéliens n’ont pu que constater avec amertume le peu de progrès de leur armée de terre et son manque d’efficacité opérationnelle. Un allié absent, une armée en partie défaillante, et le risque d’une guerre sans fin et d’une vaste ampleur face à un adversaire résistant et aguerri, constituent autant de raisons qui feront que les intentions d’Israël contre l’Iran ne dépasseront vraisemblablement pas le stade de la menace.
Pour autant, si la rhétorique sécuritaire israélienne persiste en dépit de ces réalités, c’est qu’elle reste, pour les gouvernements d’ultra-droite qui se succèdent à la tête d’Israël depuis vingt ans, un indispensable outil de politique intérieure, un moyen de pression et de stérilisation du débat publique particulièrement efficace. En usant habilement du spectre d’une intervention militaire contre Téhéran, perspective qui terrorise les chancelleries occidentales compte tenu de ses incalculables conséquences, l’Etat hébreu vise surtout à infléchir la position américaine vis-à-vis de la colonisation illégale des territoires palestiniens – une problématique qui, au demeurant, préoccupe fort peu Washington – et à obtenir davantage de soutien militaire et financier. L’Iran, en la matière, constituerait presque un « bouc émissaire » fort utile, dont il serait bien inopportun de se débarrasser.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 19/09/2021.