C’est de nouveau à Vienne que s’écrit l’Histoire entre les Etats-Unis et l’Iran. Près de six ans après la signature du Joint Comprehensive Plan of Action, et trois ans après le retrait unilatéral des Américains décidé par Donald Trump, les deux pays ont enfin accepté de se parler sur le lieu même où ils avaient décidé de permettre la réintégration de l’Iran au sein du système financier international après des années d’exclusion. Néanmoins, ce dialogue se tient de manière indirecte : la délégation américaine, dirigée par Robert Malley, envoyé spécial de Washington pour l’Iran et diplomate ayant activement participé à la réussite de l’accord de Vienne, se tient à l’écart et sans contact officiel avec les officiels iraniens. Les Européens jouent à nouveau leur rôle d’honnête courtier dans ces réunions politiques, en compagnie des autres signataires de l’accord que sont la Chine et la Russie.
Deux groupes de travail ont pu être formés, ce qui constitue déjà en soi une victoire diplomatique. Mais l’enjeu est d’une telle importance que la prudence reste de mise. La mission des diplomates et experts nationaux du dossier est en effet particulièrement ardue : réussir à établir une feuille de route, faite de « petits pas », pour obtenir à la fois la levée des sanctions américaines et la remise en conformité du programme nucléaire iranien. La coordination de ces mesures synchronisées doit in fine ramener chacun à ses engagements initiaux et résoudre, du moins l’espère-t-on, la crise entre les deux pays. La plus grande difficulté réside dans cette injonction paradoxale : négocier rapidement sur un sujet d’une haute sensibilité diplomatique qui, par nature, réclame du temps. Le risque de cette « politique des petits pas », reconnu par tous les diplomates, est en effet celui de l’enlisement voire d’un nouvel échec, qui ravirait les radicaux des deux pays, très opposés à cette réconciliation entre l’Iran et les Etats-Unis.
Depuis le début de l’année, les deux pays ne parvenaient pas à s’accorder sur les conditions du retour des Etats-Unis dans le cadre de l’accord, chacun refusant de céder le premier aux exigences de l’autre. Cette dynamique semblait encore en vigueur la veille de la première réunion viennoise : l’Iran avait souligné une fois de plus qu’une levée totale et vérifiable des sanctions par Washington serait à ses yeux la seule issue acceptable. Pour sa part, le porte-parole du Département d’Etat, a fait savoir que les Etats-Unis étaient « prêts à prendre les mesures nécessaires pour revenir aux termes du JCPoA, notamment en levant toutes les sanctions en conflit avec l’accord de 2015 », sans être pour autant en mesure de préciser lesquelles, pas plus que le calendrier, s’en remettant à la diplomatie pour paver la voie. Cette insistance à souligner que le chemin promet d’être long et difficile démontre bien que les Etats-Unis ne sont pas prêts à lever l’intégralité des sanctions sans engagement de la part de l’Iran. Vendredi, un officiel du Département d’Etat américain a semblé confirmer cette hypothèse, en déclarant que si l’Iran persistait à conditionner le moindre accord à une levée de toutes les sanctions depuis 2017, les négociations s’achèveraient dans une impasse.
Les questions du programme balistique de l’Iran et de son influence régionale au Moyen-Orient, tout aussi épineuses que la question nucléaire, restent en effet des sujets que les Occidentaux tiennent à aborder, et sur lesquels Téhéran oppose un refus catégorique. Si leur évocation est pour l’instant en suspens, elles risquent néanmoins de constituer un sérieux point de blocage.
Déterminer si l’Iran et les Etats-Unis parviendront enfin à normaliser leurs relations demeure donc pour l’heure une question ouverte, même si les discussions de Vienne constituent une première étape significative. Le président iranien Hassan Rohani estimait que « si Washington fait preuve de sérieux et d’honnêteté », les négociations pourraient être rapides. Il y a bien sûr tout intérêt, car une levée des sanctions signerait une immense victoire pour le camp réformateur et briserait la dynamique des conservateurs, déterminés à remporter l’élection présidentielle qui se tiendra le 18 juin prochain en Iran.
Les discussions vont néanmoins prendre du temps. Quinze jours, un mois, les diplomates ignorent encore le délai nécessaire pour mettre en place ce fameux calendrier synchronisé qui devrait permettre à chaque pays de faire des concessions réciproques, et ainsi sortir le dossier du nucléaire iranien de l’impasse. Ils ont cependant laissé entendre qu’ils sauraient d’ici quelques semaines s’ils pourront parvenir à un accord avant l’échéance électorale iranienne. Si les défis techniques et politiques ne manquent pas, et en dépit des dénégations de Robert Malley en la matière, c’est le calendrier qui déterminera sans doute l’évolution des négociations, car en cas de victoire des conservateurs en Iran, tout espoir de sauver l’accord de Vienne serait réduit à néant. Aujourd’hui plus que jamais, le temps presse.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 11/04/2021.