Les États-Unis ont frappé une centaine de cibles en Irak et en Syrie dans la nuit du 2 au 3 février dernier, en représailles à l’attaque par drone des proxys iraniens sur leur base Tower 22 en Jordanie. Cette attaque, qui fut par ailleurs une prouesse technique, avait entraîné la mort de trois soldats américains et fait une cinquantaine de blessés.
Washington avait été abasourdi par cette initiative. Certains sénateurs américains avaient appelé à des frappes sur le territoire iranien, et le président Biden avait promis des frappes extraordinaires en réaction. Ces frappes ont commencé immédiatement après l’hommage rendu aux corps des soldats revenus sur le territoire américain. Des bombardements des sites en Irak et en Syrie s’en sont suivis par le biais des bombardiers américains ayant décollé du territoire US.
Riposte américaine à contretemps ?
Or, malgré la rhétorique guerrière et le lancement de 85 bombes, le bilan humain semble être minime. Il en va de même des dégâts matériels. En effet, les États-Unis avaient annoncé plusieurs jours avant qu’ils allaient agir contre ceux qu’ils estimaient responsables de la frappe contre leur base. Ils les avaient même clairement identifiés comme un groupe récemment créé portant le nom de “Résistance islamique en Irak”. Ce groupe, d’après Washington, était responsable, et ce depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, de plus de 170 attaques contre les bases américaines en Syrie et en Irak. Les proxys ont donc eu largement le temps de disparaître dans la nature avec leurs équipements.
Malgré la rhétorique guerrière et le lancement de 85 bombes, le bilan humain semble être minime. Il en va de même des dégâts matériels.
Tous les États arabes du golfe Persique – à l’exception du Sultanat d’Oman – ont condamné l’attaque de la Tower 22 et se sont engagés à soutenir aussi bien la sécurité que la stabilité de la Jordanie. Le sultanat fut d’ailleurs le seul État du Conseil de coopération du Golfe à avoir qualifié la frappe à l’encontre des Américains de conséquence “de la poursuite de l’agression brutale israélienne contre Gaza”.
Pour leur part, comme à l’accoutumée, les autorités iraniennes n’ont pas tardé à nier toute forme d’implication dans cette attaque alors même qu’il ne fait aucun doute que le drone utilisé était de fabrication iranienne. L’Iran a même poussé le paradoxe plus loin en déclarant que “les groupes de résistance [à l’encontre d’Israël] ne recevaient pas d’instruction de l’Iran”.
Sacralisation nucléaire du territoire iranien
Dans l’absolu, ni l’Iran ni les États-Unis ne souhaitent que la guerre prenne de l’envergure, l’Iran se contentant d’agir par l’intermédiaire de ses proxys en Syrie, en Irak et au Yémen. Cependant, le fait pour les Américains de se contenter de frappes contre les proxys iraniens en Irak et en Syrie, sans envisager de frapper l’Iran directement, traduit incontestablement une crainte de voir l’engrenage s’emballer davantage. Non seulement la puissance militaire iranienne fait peur, mais il est aussi à envisager que l’impunité qui entoure ce pays est également due au fait qu’il soit devenu nucléaire, sacralisant de la sorte son territoire, à l’instar de la Corée du Nord.
La puissance militaire de l’Iran fait peur. Mais l’impunité qui entoure ce pays pourrait également être due au fait qu’il soit devenu nucléaire.
Par ailleurs, l’ensemble des pétromonarchies du golfe Persique ne cessent de peser de leur poids pour calmer les ardeurs de Washington afin d’empêcher des frappes de l’Iran ou de ses proxys sur leur propre territoire en cas d’explosion du conflit. L’incapacité américaine à neutraliser les frappes des proxys iraniens n’est pas de nature à les rassurer non plus.
C’est ainsi que ces pays, loin de vouloir s’en prendre à l’Iran, font tout pour éviter l’escalade et déploient leurs efforts pour apaiser et normaliser leurs relations avec Téhéran.
Ainsi, la sacralisation du territoire iranien ne laisse d’autre choix à Washington que celui du renouveau du dialogue en vue du retour de l’Iran dans le concert des nations.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 09/02/2024.