De longue date, la politique étrangère de Benjamin Netanyahu était animée par deux objectifs principaux : l’isolement total de l’Iran, et la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. L’annonce, vendredi dernier, du dégel entre Téhéran et Riyad les a tous deux mis à bas d’un seul coup, du moins en apparence.
“Benjamin Netanyahu n’a jamais caché son ambition d’être le Premier ministre qui aura permis d’ajouter ce “joyau de la couronne” à la liste des pays arabes avec lesquels Israël a normalisé ses relations”
Alors que l’ère Trump avait largement encouragé le processus de normalisation des relations entre Israël et le monde arabe, aucun nouveau pays musulman n’a rejoint les accords d’Abraham depuis le Maroc en 2020. Depuis lors, l’État hébreu a œuvré sans relâche pour que l’Arabie saoudite, de par son statut économique et politique dans les équilibres du Moyen-Orient, reconnaisse enfin officiellement son existence. Benjamin Netanyahu n’a jamais caché son ambition d’être le Premier ministre qui aura permis d’ajouter ce “joyau de la couronne” à la liste des pays arabes avec lesquels Israël a normalisé ses relations. Compte tenu de la rivalité existant entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ce processus diplomatique devait permettre également de renforcer le front anti-iranien sous l’égide de l’État hébreu.
L’ombre du conflit israélo-palestinien
Pour autant, Riyad demeure circonspecte face à une telle officialisation, d’abord pour des raisons idéologiques. Il est en effet difficile pour le royaume wahhabite de se déjuger publiquement, alors que le plan de paix proposé en 2002 par le roi Abdallah, approuvé par la Ligue arabe mais rejeté par Israël, s’est longtemps imposé comme le marqueur du positionnement saoudien vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.
“Même si son engagement formel aux côtés des Palestiniens a pu nettement s’émousser ces dernières années, l’Arabie saoudite ne peut rompre avec cette image, en tant que leader autoproclamé du monde musulman sunnite”
Et même si son engagement formel aux côtés des Palestiniens a pu nettement s’émousser ces dernières années, l’Arabie saoudite ne peut rompre avec cette image, en tant que leader autoproclamé du monde musulman sunnite. À cet égard, l’escalade de violence dans la bande de Gaza et à Jérusalem contre les Palestiniens, et la présence de personnalités de l’extrême droite au sein du nouveau gouvernement Netanyahu, entretiennent la répugnance des Saoudiens à toute normalisation officielle avec l’État hébreu. En cas de nouvelle Intifada, cette perspective serait durablement hors sujet.
La réconciliation Iran-Arabie saoudite
La réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite apparaît comme un second obstacle majeur pour Israël, d’autant plus problématique qu’elle n’avait pas été anticipée si tôt. La nouvelle a été reçue à Tel-Aviv avec beaucoup de surprise et d’anxiété, mais aussi avec une pointe d’introspection. Était-ce une réelle surprise, alors que les négociations entre Saoudiens et Iraniens, à Oman et en Irak, étaient largement connues depuis plusieurs mois ? L’opposition israélienne a tôt fait d’accuser Netanyahu et sa politique anti-palestinienne agressive comme explications de cet échec, et de rappeler que son obsession de l’Iran masquait mal les véritables problèmes du pays.
“Cet accord irano-saoudien ébranle toute la stratégie d’isolement de l’Iran patiemment bâtie par l’État hébreu, qui se retrouve aujourd’hui bien esseulé au Moyen-Orient”
Dans les faits, cet accord irano-saoudien ébranle toute la stratégie d’isolement de l’Iran patiemment bâtie par l’État hébreu, qui se retrouve aujourd’hui bien esseulé au Moyen-Orient. Tout en conservant une méfiance naturelle envers Téhéran, aucune nation arabe ne partage les angoisses existentielles d’Israël, et toutes, à commencer par les Émirats arabes unis, se sont rapprochées de leur puissant voisin.
Au demeurant, l’opinion publique en Arabie saoudite, comme dans la majeure partie des nations arabes, s’oppose fortement à toute normalisation avec l’État hébreu. Par souci de maintenir la paix sociale en son royaume, il est donc beaucoup plus probable que Riyad poursuive sa collaboration officieuse avec Israël plutôt que de s’engager dans une normalisation officielle.
L’Arabie saoudite a pourtant besoin d’Israël
La discrétion de cette relation convient particulièrement à la diplomatie saoudienne, déjà fort occupée par la guerre au Yémen, l’Iran et ses relations tendues avec les États-Unis. Pour autant, Riyad a besoin de cette collaboration bilatérale, notamment d’un point de vue économique. Les entreprises et investisseurs israéliens jouent en effet un rôle important dans le développement du plan Vision 2030 élaboré par “MBS” et contribuent par ailleurs à la diversification de l’économie saoudienne, encore trop dépendante de la rente pétrolière. D’autre part, les compétences israéliennes en matière de technologie de pointe et de cybersécurité demeurent essentielles pour l’Arabie saoudite. Car malgré les effusions diplomatiques, l’Iran reste un rival pour le royaume saoudien et l’ensemble des monarchies sunnites du golfe Persique, un rival contre lequel il vaut mieux prévenir que guérir. Si, à la différence d’Israël, tous ont compris qu’il y avait davantage à gagner à composer avec cette grande puissance qu’à tenter de la contrer, l’objectif sécuritaire ne saurait donc être totalement négligé. Cela nécessitera le maintien d’une coopération militaire avec Israël, sans afficher une obsession aussi radicalement belliqueuse envers l’Iran.
“Riyad a besoin de cette collaboration bilatérale, notamment d’un point de vue économique. Les entreprises et investisseurs israéliens contribuent par ailleurs à la diversification de l’économie saoudienne, encore trop dépendante de la rente pétrolière”
À long terme, l’État hébreu pourrait néanmoins dégager d’éventuels bénéfices de cette alliance restaurée. En parallèle de sa réconciliation avec l’Iran, l’Arabie saoudite semble en effet avoir posé de nouvelles conditions aux États-Unis pour accepter une normalisation de ses relations avec Israël : une aide américaine pour établir un programme nucléaire civil, et moins de restrictions sur les ventes d’armes. La proposition a été rendue publique quelques heures avant l’annonce officielle de l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Ce n’est certainement pas un hasard, mais bien un avertissement lancé à Washington. En acceptant de se rapprocher d’une puissance rivale, en cherchant à Pékin un nouveau protecteur [les pourparlers entre Iran et Arabie saoudite se sont déroulés dans la capitale chinoise, ndlr], le royaume wahhabite a voulu rappeler sa volonté d’indépendance et sa défiance envers la fiabilité américaine. À charge pour les Américains d’obtenir une “victoire” diplomatique avec la reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite… mais à ses conditions.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans le Nouvel Economiste du 15/03/2023.