Sept ans après avoir rompu leurs relations diplomatiques, l’Iran et l’Arabie Saoudite sont enfin parvenus à une entente, facilitée par la Chine après quatre jours de discussions. A Pékin, les deux pays ont annoncé ensemble vendredi qu’ils rouvriraient leurs ambassades dans les deux mois et « respecteraient la souveraineté de l’autre et n’interviendraient pas dans leurs affaires intérieures respectives. » Concrètement, Riyad et Téhéran réactivent un pacte de coopération sécuritaire et de nombreux partenariats économiques, financiers et culturels, qui avaient été suspendus en 2016 après l’exécution du cheikh chiite Nimr al-Nimr par le royaume wahhabite, et l’assaut contre l’ambassade saoudienne par des manifestants à Téhéran. En 2019, l’attaque de drones sur des infrastructures pétrolières saoudiennes à Abqaiq et Khurais, attribuée à l’Iran, avait également marqué le summum de la rupture entre les deux pays.
L’annonce intervient dans un contexte régional critique, alors que l’Iran poursuit son enrichissement nucléaire et qu’Israël, inquiet pour sa sécurité, le menace de plus en plus ouvertement d’une riposte militaire. Mais cette réconciliation salutaire, qui a nécessité plusieurs épisodes de pourparlers en Irak et à Oman, pourrait stabiliser durablement le Moyen-Orient.
Pour l’Iran, marqué par des mois de contestation et une situation économique de plus en plus difficile, cette normalisation allège le front diplomatique et apporte surtout une consolidation inespérée au régime. Naturellement frileuse face aux perspectives de révolutions, en particulier à ses portes, l’Arabie Saoudite a en effet tout intérêt à garantir la stabilité de la République islamique pour sa propre sécurité domestique. Par ailleurs, du Yémen au Liban, la rivalité idéologique et religieuse entre les deux pays a nourri nombre de conflits locaux, que cette normalisation pourrait permettre de régler définitivement. Enlisée depuis 2015 face aux Houthis, l’Arabie Saoudite pourrait par l’entremise de l’Iran sécuriser enfin sa frontière sud. La question du réseau de proxies de l’Iran en Irak et en Syrie sera nécessairement adressée.
Si le rôle de la Chine est indéniable dans le rapprochement irano-saoudien, il est néanmoins douteux de penser que les Etats-Unis n’aient pas été informés de son imminence, peut-être par des sources saoudiennes. L’accord entre Riyad et Téhéran suit en effet de très près la fermeture du bureau londonien de la chaîne Iran International, émanation du soft power saoudien à travers le monde persanophone. Ce bureau a été transféré à Washington d’où il poursuit son activité médiatique.
La normalisation des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ouvre ainsi de nombreuses perspectives diplomatiques plus larges. Toujours alliée des Etats-Unis en dépit de leur défiance mutuelle et croissante, Riyad pourrait faciliter la reprise des négociations entre Washington et Téhéran sur la question de l’accord nucléaire. Contemptrice de la première heure du JCPoA, l’Arabie Saoudite pourrait se montrer plus conciliante maintenant que ses relations avec son puissant voisin semblent durablement apaisées, et contribuer à régler les derniers désaccords. Or, on sait à quel point l’accord nucléaire est un rempart majeur à la reprise de la guerre au Moyen-Orient, et à l’hostilité croissante d’Israël.
L’entente entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sonne à cet égard comme une très mauvaise nouvelle pour l’État hébreu, qui risque de nouveau l’isolement régional à mesure que les alliés arabes de l’Arabie Saoudite, comme l’Egypte, seront entraînés dans son sillage et se réconcilieront avec Téhéran. Pour autant, là encore l’Arabie Saoudite pourrait intervenir comme médiatrice privilégiée, notamment sur la question du dossier syrien où la Russie contrôle de moins en moins l’Iran. Qui sait si la bonne entente officieuse entre l’Arabie Saoudite et Israël, qui désespère de l’adjoindre au cortège des pays signataires des accords d’Abraham, ne faciliterait pas in fine un dialogue israélo-iranien.
En contribuant à rapprocher ces deux rivaux a priori irréconciliables, la Chine a démontré de manière éloquente à quel point son influence stratégique avait grandi au Moyen-Orient, une région qui fut longtemps le pré carré des Etats-Unis.
Mais leur désengagement progressif, dont les Saoudiens ont fait l’amer constat à leurs dépens, a largement contribué à créer un vide dont la Chine a profité pour servir ses propres intérêts. Pékin a en effet besoin de stabilité au Moyen-Orient, d’où elle importe 40 % de ses hydrocarbures. Face aux préoccupations sécuritaires des Saoudiens, qui ne croient plus à la fiabilité américaine, et économiques des Iraniens, qui cherchent à rompre leur isolement international, la Chine a su, à la différence des Etats-Unis, adeptes du « diviser pour mieux régner », développer des relations équilibrées entre ses différents partenaires et concilier habilement leurs besoins pour accroître son influence diplomatique.
Ayant récemment approfondi son partenariat économique avec l’Arabie Saoudite, disposant également d’une réelle influence sur les Iraniens, la Chine a exploité utilement ce capital pour apparaître désormais comme une grande puissance conciliatrice et garante de la sécurité régionale et mondiale, une stratégie désignée sous le terme de « Global Security Initiative » et qui vise à supplanter les Américains dans leur rôle de « gendarmes du monde ». De fait, la sécurité régionale du Moyen-Orient s’est décidée en Asie, entre pays « asiatiques », et sans intervention occidentale. C’est pour les Occidentaux, qui avaient pourtant eu maintes opportunités pour œuvrer en faveur de la stabilité régionale, un terrible constat d’échec.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 12/03/2023.