Depuis l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, l’Iran et les Occidentaux ont tenté une résurrection du Joint Comprehensive Plan of Action, dans le but louable de limiter le risque de prolifération nucléaire, apaiser le Moyen-Orient et sortir enfin l’Iran de l’ostracisme économique. Après plusieurs mois de négociations et un possible aboutissement en août dernier, ces efforts diplomatiques ont été réduits à néant, à la fois par la répression du régime iranien à l’encontre du mouvement social “Femme, vie, liberté”, et par le rapprochement stratégique entre l’Iran et la Russie. Depuis lors, tout le processus semblait de nouveau enlisé dans un cycle de stagnation, sans aucun espoir de sortie, faisant dire à certains diplomates que le texte était “définitivement mort”. À force de “start and go”, la question du nucléaire iranien demeure irrésolue, avec tous les risques et conséquences qu’un tel retard comporte.
L’Iran sur la voie de l’ouverture ?
Une reprise du processus diplomatique semble néanmoins en cours, en mode strictement bilatéral, entre les États-Unis et l’Iran. D’après diverses sources diplomatiques, l’envoyé spécial américain sur l’Iran Robert Malley se serait entretenu à plusieurs reprises avec Amir Saïd Iravani, le nouvel ambassadeur d’Iran à l’ONU qui a déjà joué un rôle crucial dans la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran, pour mettre au point un texte qui permettrait de lever une partie des sanctions. L’Iran pourrait ainsi reprendre ses exportations d’hydrocarbures à hauteur d’un million de barils de brut quotidien et voir dégeler certains de ses actifs bloqués à l’étranger, à des fins d’achats de biens alimentaires et médicaux. En échange, Téhéran devra accepter de cesser son enrichissement d’uranium au-delà de la limite de 60 %, et de poursuivre sa coopération avec l’AIEA pour la surveillance de son programme nucléaire. Le Qatar a, semble-t-il, proposé sa médiation pour la résolution des questions bancaires encore en suspens.
“L’envoyé spécial américain sur l’Iran Robert Malley se serait entretenu à plusieurs reprises avec Amir Saïd Iravani, le nouvel ambassadeur d’Iran à l’ONU qui a déjà joué un rôle crucial dans la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran”
Si les avancées diplomatiques sont certaines, Téhéran comme Washington ont cependant nié l’imminence d’un accord. Pour autant, il est permis de penser que l’Iran a choisi la voie de l’ouverture. Son activisme ces derniers mois en faveur d’une normalisation globale de ses relations diplomatiques le démontre, et inscrit nécessairement la question nucléaire au coeur de ses priorités stratégiques.
Un ancien ministre réformateur prone le compromis
Dans une rare intervention publique, et sans être explicite, l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif a appelé à une inflexion de la diplomatie iranienne vers davantage de compromis. D’une rare sévérité, celui-ci a estimé que l’Iran était en partie responsable de la pression internationale qu’il subit, déplorant que le peuple iranien se soit toujours doté de dirigeants qui flattaient ses ambitions, fût-ce au prix de l’avenir du pays, dont les ressources nationales ont été gaspillées ces 75 dernières années.
“L’ancien ministre des Affaires étrangères a suscité l’ire des conservateurs qui ont parfaitement saisi une critique à peine voilée dénonçant le poids colossal des forces armées dans l’élaboration de la stratégie diplomatique de l’Iran”
Sans qu’il l’ait cité, le dossier nucléaire était évidemment concerné, mais c’est surtout sa référence au traité de Turkmentchaï qui a suscité de violents commentaires en Iran. Pour rappel, ce traité signé en 1828 entre les empires russes et perses a représenté pour l’Iran une perte de souveraineté territoriale majeure après une ultime défaite face à l’Empire russe, avec la cession de l’Arménie et du Caucase sous peine de voir Téhéran envahie en cinq jours. En évoquant ce traumatisme encore très présent dans la mémoire collective iranienne, régulièrement cité pour envisager les relations avec les puissances extérieures, l’ancien ministre des Affaires étrangères a osé cette question : valait-il mieux risquer l’indépendance de l’Iran, ou signer ce traité qui, en dépit de l’humiliation qu’il représentait, a permis la survie de l’État iranien ? Soutenu par plusieurs historiens, Zarif a suscité l’ire des conservateurs qui ont parfaitement saisi la référence, une critique à peine voilée dénonçant le poids colossal des forces armées dans l’élaboration de la stratégie diplomatique de l’Iran.
En réalité, l’ancien ministre des Affaires étrangères, à qui l’on doit le “miracle” diplomatique que fut l’accord de Vienne, souhaite avant tout éviter que l’Histoire ne se répète, cette fois-ci avec les États-Unis. Sa référence historique montre précisément qu’il va être nécessaire pour l’Iran d’effectuer un “choix intelligent” pour sortir de l’impasse. Au demeurant, cette polémique intervient dans un contexte à la fois de négociations officieuses avec l’Occident sur la question nucléaire, mais aussi de possible réorganisation politique en vue des élections législatives de 2024 en Iran. L’expression publique de Zarif tendrait à démontrer que les réformateurs pourraient être de nouveau écoutés en haut lieu, que ce soit sur l’aspect diplomatique ou domestique.
Les désaccords demeurent
De fait, quelques jours après les pourparlers irano-américains, le guide suprême s’est montré étonnamment ouvert à un rapprochement avec les États-Unis, estimant qu’un accord avec l’Occident était envisageable, sous réserve que l’Iran conserve les infrastructures de son industrie nucléaire. Si la déclaration marque un important revirement stratégique après que le guide ait longtemps appelé à délaisser le versatile allié américain au profit des puissances asiatiques, les points de désaccord et mises en garde demeurent, tant du côté iranien qu’américain. Washington s’est gardé de tout commentaire sur ces propos, et Robert Malley a explicitement signifié aux Iraniens qu’un retour au texte initial de l’accord de Vienne n’était pas envisageable pour la Maison-Blanche. De même, en cas de production par l’Iran d’un uranium enrichi à 90 %, le dossier nucléaire passerait des mains du Secrétariat d’État au Pentagone. En clair, de celles des diplomates à celles des militaires… Face aux demandes “irréalistes”, la voie du compromis demeure effectivement la plus souhaitable, mais sous réserve que les deux parties l’empruntent côte à côte.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 13/06/2023.