Le monde est vaste et les Occidentaux n’y pèsent plus lourd… tel est le message que Téhéran entend transmettre à Washington comme à Bruxelles. Négocié durant près de cinq ans, le fameux accord de coopération entre l’Iran et la Chine, baptisé « Lion-Dragon Deal », a été signé samedi dernier, et devrait donc lier les deux pays sur le plan économique et militaire pour les vingt-cinq prochaines années. Cette signature tombe à point nommé, même si la situation commence à se débloquer entre l’Iran et les Etats-Unis avec la reprise, la semaine prochaine, de discussions indirectes autour du Joint Comprehensive Plan of Action à Vienne. Joe Biden, qui observe depuis plusieurs années le rapprochement entre Téhéran et Pékin, a semble-t-il accueilli la nouvelle de sa concrétisation avec un certain dépit.
La nouvelle est en effet mauvaise pour le président américain, dans un contexte de tensions accrues avec la Chine et de dialogue toujours délicat avec Téhéran. Elle permet à la République islamique d’envoyer plusieurs signaux, à la fois aux Etats-Unis pour leur prouver que, même sous le coup de sanctions, elle conserve des alliés et n’est pas si isolée sur la scène internationale, mais aussi aux autres pays qui pourraient devenir des partenaires potentiels pour l’Iran et lui éviter un tête-à-tête potentiellement toxique avec Pékin.
La signature de l’accord coïncide également avec près d’un demi-siècle de relations diplomatiques entre la République islamique et la République populaire de Chine, toutes deux liées par un ennemi commun, les Etats-Unis. S’estimant sortie de l’épidémie de Covid-19 et déterminée à relancer son économie, la Chine importe déjà plus de pétrole iranien que n’importe quel autre pays au monde, et ce en dépit des sanctions américaines. Mais aujourd’hui, l’ampleur des liens qui uniront les deux pays pendant un quart de siècle est effectivement colossale. La Chine obtiendrait grâce au « Lion-Dragon Deal » des hydrocarbures à tarif préférentiel et s’engagerait en contrepartie à investir près de 228 milliards de dollars en Iran en vingt-cinq ans, l’essentiel devant être cumulé les cinq premières années. Les projets d’infrastructures et d’usines chinoises en territoire iranien en feront un point stratégique des Nouvelles Routes de la Soie entre le Xinjiang et l’Asie centrale, puis vers la Turquie et le marché européen. Le processus suit de près ce que Pékin a négocié avec d’autres pays du Moyen-Orient, l’Irak, les Emirats et l’Arabie Saoudite, remplissant le vide stratégique laissé par les Américains.
L’Iran et la Chine n’ont cependant pas attendu ce traité pour accroître leurs efforts de coopération. En février dernier, les deux pays ont conduit des manœuvres militaires aux côtés de l’Inde et de la Russie dans l’océan Indien, et leurs services de renseignements respectifs entretiennent d’étroites relations depuis plusieurs années, notamment au détriment des intérêts américains. Preuve de sa volonté de multiplier les partenariats stratégiques, l’Iran a commencé la négociation du « Lion-Dragon Deal » au lendemain même de la signature de l’accord de Vienne, dont faisait partie la Chine, en 2015. La décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord et d’instaurer une « pression maximale » sur l’Iran a donné raison à ce calcul. De cet accord avec la Chine, Téhéran tire un bénéfice politique certain et davantage de poids face aux Etats-Unis qui rechignent à céder à ses exigences. « Plan B » de l’Iran, la Chine profite également de l’occasion pour montrer à Washington que ses sanctions n’entraveront en rien son agenda diplomatique.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 04/06/2021.