Après une décennie de guerre, la Syrie fait face à des défis importants et à des luttes d’influence entre puissances régionales et occidentales.
Un soulèvement pacifique à l’origine de la guerre civile syrienne
Dès mars 2011, encouragés par les manifestations dans les pays arabes voisins contre des dirigeants autoritaires et répressifs, les syriens se sont soulevés contre le régime syrien. Les raisons principales étaient la hausse du chômage, la présence d’une corruption prégnante au sein de la classe politique ainsi qu’une liberté politique inexistante sous la présidence de Bachar el-Assad, successeur de son père, Hafez el-Assad, décédé en 2000. Le gouvernement syrien a alors réprimé dans un bain de sang les manifestations pour faire taire la dissidence qui réclamait la démission pure et simple du président. Le conflit est rapidement devenu une guerre civile, notamment avec la multiplication des groupes rebelles et la montée en puissance des groupes terroristes djihadistes affiliés à l’État islamique et Al-Qaïda.
Une guerre civile parasitée par de nombreux acteurs externes
Au fil des années d’un conflit rude, le gouvernement syrien a pu se reposer sur ses fidèles soutiens russe et iranien. Tandis que le but de la Russie, outre le maintien de sa base navale à Tartus, était de conserver sa place d’acteur sur la scène géopolitique multipolaire en faisant perdurer sa coopération dans le théâtre de conflit syrien, l’Iran quant à lui, avait ses propres motivations. En effet, Téhéran a envoyé des milices armées entrainées par ses soins, provenant d’Irak, du Liban, d’Afghanistan et du Yémen en raison de l’importance cruciale de la Syrie pour sa stratégie régionale, la Syrie étant le seul pays arabe historiquement son allié. En face, des puissances occidentales telles que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis ainsi que plusieurs Etats arabes du Golfe Persique ont soutenu des groupes rebelles dits modérés, considérés comme l’opposition. De plus, la Turquie compte parmi les fervents soutiens de l’opposition. En effet, la question syrienne demeure importante d’un point de vue sécuritaire puisque 4 millions de réfugiés syriens sont présents en Turquie, entrainant une colère progressive auprès de l’opinion publique turque. Sans parler des Kurdes du mouvement YPG allié au PKK Kurde en Turquie, engagé dans une lutte acharnée séparatiste contre Ankara. Toutefois, depuis la montée en puissance des djihadistes dans cette zone, les Etats occidentaux ont préféré alléger leur aide.
Les impacts multiples sur la Syrie
Le conflit qui a suivi les premiers soulèvements pro-démocratiques en 2011 a donc engendré une tragique guerre civile qui a détruit des villes entières et qui se chiffre à plus de 380 000 morts dont plus de 116 00 civils, 205 000 personnes portées disparues présumées mortes et 2,1 millions de civils blessés ou souffrant d’un handicap permanent. Les Nations Unies ont constaté des crimes de guerre et les « violations les plus odieuses » des traités internationaux avec notamment des « vastes bombardements aériens sur des zones densément peuplées, des attaques aux armes chimiques et des sièges modernes au cours desquels les auteurs ont délibérément affamé la population le long de scénarios médiévaux, ainsi que des restrictions indéfendables et honteuses de l’aide humanitaire ». Plus de la moitié de la population syrienne a été déplacée au cours du conflit, à l’intérieur du pays ou à l’extérieur, notamment en Jordanie, Turquie et au Liban qui accueillent plus de 90% des syriens fuyant les conflits. Selon les Nations unies, en janvier 2021, 13,4 millions de syriens déplacés au sein du territoire syrien étaient en manque d’aide humanitaire dont la moitié étaient « en situation de besoin aigu ». Cette crise humanitaire a été lourdement aggravée par la récession économique liée à la Covid-19 et la destruction des ressources naturelles et agricoles du pays par les offensives aériennes contre des groupes armés. Sans surprises, cela a engendré une chute drastique de la valeur de la monnaie syrienne. Selon l’ONU, le prix des denrées aurait été multiplié par 29 en dix ans. Par ailleurs, la décennie de combats a détruit un tiers des infrastructures et a laissé seulement la moitié des hôpitaux en état de marche ce qui rend la tâche des soignants, en période de pandémie, encore plus ardue. Enfin, le patrimoine culturel syrien a également été en grande partie détruit. La destruction de six sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, et notamment la cité antique de Palmyre, par des troupes de l’EI en sont la preuve.
Une reconstruction dans l’impasse
A la suite de plusieurs offensives victorieuses, le gouvernement syrien a fini par reprendre la main sur environ 70% du territoire syrien, comprenant les six premières villes du pays et contrôle aujourd’hui près de 11 millions de personnes sur les 17 millions de syriens qui sont restés sur le territoire. Toutefois, des zones du pays demeurent sous le contrôle des djihadistes et des FDS, une alliance islamiste arabo-kurde soutenue par Washington. La ville d’Idlib, par exemple, que ces derniers contrôlent, a fait l’objet d’une tentative de reconquête en mars 2020 par le gouvernement syrien qui n’a pas été finalisé du fait d’un cessez-le-feu signé par la Russie et la Turquie. Cet accord russo-turc étant la contrepartie d’une entente sur la scène libyenne ou les russes ont abandonné leurs attaques contre Tripoli en échange du maintien du statu quo à Idlib. Ce calme rétabli temporairement pourrait donc se rompre à tout moment, d’autant plus que les sanctions imposées au gouvernement syrien par les puissances occidentales pour faire cesser les attaques contre les civils ont été sans effet et que toutes les tentatives de solution politique ont échoué. En effet, le processus d’Astana mis en place par la Russie, l’Iran et la Turquie en 2017 ainsi que les neuf cycles de pourparlers de paix sous l’égide de l’ONU (processus de Genève II), n’ont mené à aucune solution concrète. Une des raisons était que le président syrien, Bachar el Assad, n’était pas prêt à négocier avec l’opposition qui réclamait de manière inflexible son retrait du processus de négociations. Néanmoins, même si les puissances occidentales ont abandonné l’idée de vouloir faire quitter le pouvoir à Assad, une avancée notable en janvier 2021 est à souligner. En effet, la conclusion d’un accord par l’ONU pour la formation d’un comité de 150 membres chargé de la rédaction d’une nouvelle constitution syrienne devrait mener à des élections libres. Selon les États-Unis, ce travail doit être considéré uniquement comme une porte ouverte à la mise en œuvre des autres éléments prévus par la résolution 2254 et avoir pour finalité une transition politique.
Même si cet horizon semble favorable à l’installation d’une accalmie durable en Syrie, la présence de multiples armées étrangères actives sur le territoire brouille le message et freine l’éventuel processus de sortie du conflit.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 31/03/2021.