Les récentes manœuvres de pétroliers dans le golfe Persique, qui ont impliqué l’Iran et les États-Unis, remettent en question les relations entre les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et Washington.
Pétrolier en mer d’Oman, des versions divergentes
Lors de l’incident survenu dans le golfe d’Oman à la fin du mois d’octobre, le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran (IRGC) s’est emparé du navire-citerne ‘Sothys’ qui transportait du pétrole iranien et qui avait été détourné par la marine américaine. Ainsi, l’Iran aurait résisté à la tentative de deux frégates de la marine américaine de s’emparer dudit navire. L’Iran affirme que les actions de l’IRGC ont été motivées par la tentative du gouvernement américain de subtiliser le pétrole iranien à bord du navire.
Bien que l’Iran ait diffusé de nombreuses vidéos de l’incident pour étayer sa version des faits, le secrétaire de presse du Pentagone, John Kirby, a affirmé que lors de l’incident ayant eu lieu fin octobre, la flotte américaine présente dans la zone se contentait de surveiller la situation, sans avoir la volonté d’intervenir, remettant ainsi en cause implicitement la véracité des vidéos diffusées. Il a ainsi fermement réfuté l’affirmation de l’Iran selon laquelle le pétrole transporté par le ‘Sothys’ avait été saisi auparavant par les États-Unis. Il a en outre refusé de confirmer l’identité du pétrolier au centre de l’incident ou de fournir davantage d’explications sur cette altercation en haute mer.
“Cet événement met en lumière les tensions entre les deux pays dont le point de friction principal demeure l’allégement des sanctions économiques paralysantes à l’encontre de l’Iran”
Malgré la politique de langue bois des États-Unis sur l’incident, il est néanmoins irréfutable qu’une nouvelle rencontre sérieuse en haute mer entre les deux pays a eu lieu. Cet événement met en lumière les tensions entre les deux pays dont le point de friction principal demeure l’allégement des sanctions économiques paralysantes à l’encontre de l’Iran et le retour potentiel du gouvernement américain à l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA).
Quand l’Arabie saoudite tente de raisonner les États-Unis
Par ailleurs, cet incident maritime récent a révélé la stratégie américaine de confusion dans la région. Lors de la conférence Middle East Security in a Changing World organisée par l’Atlantic Council le 2 novembre, l’ancien chef du renseignement saoudien, le prince Turki bin Faisal Al Saud, a évoqué les échecs américains en Irak et en Afghanistan, estimant que l’ère où les États-Unis étaient la puissance dominante dans la région était révolue.
Alors que des désaccords bilatéraux entre l’Arabie saoudite et les États-Unis sur des questions de sécurité et d’énergie sont patents, Faisal Al Saud a demandé aux États-Unis de renforcer leur partenariat de sécurité avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG), organisation régionale regroupant six pétromonarchies arabes du golfe Persique : l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar. Il estime en effet que l’administration Biden ne fait pas assez d’efforts pour maintenir une relation solide avec ses partenaires du CCG.
“Alors que des désaccords bilatéraux entre l’Arabie saoudite et les États-Unis sur des questions de sécurité et d’énergie sont patents, Faisal Al Saud a demandé aux États-Unis de renforcer leur partenariat de sécurité avec le Conseil de coopération du Golfe ”
L’appel de Faisal, teinté d’un certain désespoir, semble provenir du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman Al Saud (MBS). Il aurait ainsi choisi Faisal pour délivrer ce message au président américain en raison de la crédibilité de Faisal assortie à anciennes fonctions de chef des services de renseignement saoudiens, qui lui permet d’évoquer des questions de sécurité régionale. Le temps où MBS était protégé et soutenu par Donald Trump est bel et bien révolu. Les relations entre l’Arabie saoudite et les États-Unis se sont en effet tendues sous l’administration Biden. Déjà, lors de sa campagne présidentielle, Joe Biden s’était engagé à traiter l’Arabie saoudite comme un paria en raison des nombreuses violations en matière de droits de l’homme dans le pays. Preuve de la profonde antipathie du président américain à l’encontre du prince saoudien : jusqu’à présent, Biden n’a pas parlé directement à MBS. Seuls des membres de son administration ont rencontré le prince héritier saoudien.
“Le temps où MBS était protégé et soutenu par Donald Trump est bel et bien révolu. Les relations entre l’Arabie saoudite et les États-Unis se sont en effet tendues sous l’administration Biden”
De plus, l’administration Biden a réduit son soutien militaire en suspendant la livraison d’armes dont le royaume saoudien se sert pour mener sa guerre fratricide contre le Yémen. L’administration Biden a également récemment refusé d’accorder l’immunité à MBS dans une affaire impliquant l’ancien haut responsable du renseignement saoudien Saad Al-Jabri, proche de l’ex-prince héritier déchu Muhammad bin Nayef Al Saud. Dans ce contexte, il semble donc probable que le prince saoudien veuille passer par un intermédiaire pour tenter de rétablir les relations bilatérales entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, ou au moins, outrepasser la marginalisation du royaume voulue par l’administration Biden.
Des dissensions aux conséquences mondiales
Les tensions entre l’Arabie saoudite et les États-Unis ont des conséquences sur le monde entier, et notamment sur la production mondiale de pétrole. La hausse des prix du pétrole entraînera des tensions au moins à court terme. Si les appels au rapprochement formulés indirectement par MBS échouent, il pourrait user de son contrôle sur la production pétrolière saoudienne pour maintenir les prix de l’énergie à un niveau élevé, en contradiction directe avec les demandes de l’administration Biden à ce sujet.
“Si les appels au rapprochement formulés indirectement par MBS échouent, il pourrait user de son contrôle sur la production pétrolière saoudienne pour maintenir les prix de l’énergie à un niveau élevé”
Selon Faisal, le Moyen-Orient revêt une haute importance stratégique pour la communauté internationale, mais il estime que “les pays de la région ne devraient pas avoir à choisir entre les grandes puissances qui participent à une compétition stratégique”, allusion à peine voilée à l’influence croissante de la Chine dans les pétromonarchies arabes du golfe Persique. Faisal a alors appelé à ce que les relations entre le CCG et les États-Unis se recentrent autour de domaines d’intérêt mutuels tels que l’énergie, la lutte contre le terrorisme et surtout, la lutte contre l’influence iranienne dans la région.
En raison du caractère impératif de la bonne entente entre les États-Unis et le CCG pour la paix et la stabilité dans la région, et du caractère stratégique de la position de l’Asie occidentale pour contenir l’expansion de l’influence chinoise et la prolifération nucléaire iranienne, Washington œuvrera sûrement pour conserver une certaine présence militaire dans la région.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 10/11/2021.