Au lendemain de la visite surprise de Mohammad Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien, au G7, la presse française, notamment le quotidien Le Monde, saluait un « coup de maître » de la part d’Emmanuel Macron. Mais le compliment n’est-il pas un peu exagéré ?
Au lendemain de la visite surprise de Mohammad Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien, au G7, la presse française, notamment le quotidien Le Monde, saluait un « coup de maître » de la part d’Emmanuel Macron. Mais le compliment n’est-il pas un peu exagéré ?
Certes, l’arrivée du ministre iranien n’était pas prévue au programme du G7, qui réunissait ce weekend à Biarritz l’Allemagne, le Canada, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni… et surtout les Etats-Unis. Cette visite avait donc toute l’apparence d’un formidable coup d’éclat diplomatique, compte tenu des vives tensions entre Iraniens et Américains depuis leur retrait de l’accord de Vienne en mai 2018.
Prévenu la veille, Donald Trump ne s’était pas opposé à la venue de Zarif, rappelant que s’il restait ouvert à un dialogue avec les Iraniens, celui-ci intervenait trop tôt à son goût. Il était donc d’emblée hors de question pour lui de discuter avec l’invité surprise. Or, c’est précisément ce qu’Emmanuel Macron visait avec ce pari très audacieux : créer un déclic chez les Américains pour qu’ils acceptent d’engager un dialogue. Concrètement, cette discussion n’a pas eu lieu.
Si Emmanuel Macron a réussi à faire accepter la présence du ministre des affaires étrangères iranien au président américain, et à ne pas subir de tweet incendiaire ou insultant de sa part, le bilan de l’opération semble relativement maigre. Zarif n’est resté à Biarritz que cinq heures, le temps de discuter avec son homologue français Jean-Yves le Drian et avec le président français… avec lesquels il s’était déjà entretenu à Paris deux jours plus tôt. Le ministre iranien a également pu échanger avec des diplomates mineurs allemands et britanniques. Somme toute, les échanges ne se sont faits qu’avec des pays qui ont gardé des relations claires et ouvertes avec les Iraniens.
Pourtant, lors de la conférence de presse qui clôturait le G7 hier en fin de journée, Emmanuel Macron a néanmoins affirmé que « les conditions d’une rencontre et donc d’un accord » entre Donald Trump et Hassan Rohani étaient désormais réunies. Que penser de cette déclaration qui va à l’encontre de tout ce qu’on a pu observer ?
Depuis plus d’un an, l’Union européenne s’est montrée très faible dans l’affrontement qui oppose l’Iran aux Etats-Unis. Les multiples solutions proposées pour que les sanctions américaines n’affaiblissent pas l’économie iranienne ont été rapidement délaissées, ou se sont montrées inefficaces. Cependant, le sommet du G7 à Biarritz a démontré le leadership de la France pour mener la diplomatie européenne sur la scène internationale. La Grande-Bretagne, déterminée à aller jusqu’au bout du Brexit et à sortir de l’Union européenne fin octobre, et l’Allemagne fragilisée par sa situation économique et le départ d’Angela Merkel, n’ont plus le même poids que par le passé. La France peut désormais jouer un rôle d’honnête courtier et de médiateur pour que les relations entre Américains et Iraniens s’apaisent et que le dialogue reprenne.
Elle a effectivement posé les premiers jalons en la matière lors de ce G7, avec un succès qu’il convient pour l’instant de relativiser. Certes, Donald Trump n’est pas parti en claquant la porte. Emmanuel Macron a même eu l’habileté de le flatter en évoquant son tempérament « qui est de faire des accords », pour le convaincre d’accepter une rencontre avec le président iranien, et même un sommet consacré à la négociation d’un nouvel accord sur le nucléaire.
Néanmoins, les réponses du président français sur les futures négociations avec les Iraniens démontrent quel parti il a choisi de prendre, et ce n’est pas le leur. Emmanuel Macron a nié que les signataires originels de l’accord de Vienne n’avaient pas tenu leurs engagements, contrairement à ce qu’affirme l’Iran. Il semble par ailleurs approuver très clairement la méthode de l’administration Trump de « pression maximale », qui affaiblit gravement l’économie iranienne et fait souffrir le peuple iranien, allant même jusqu’à déclarer : « Cette situation est l’aspect positif : créer une pression pour améliorer les termes d’un accord ! » Il soutient enfin sans arrière pensée la principale exigence des Américains, à savoir l’impossibilité pour l’Iran d’enrichir de l’uranium… ce qui en ferait le seul Etat au monde à se voir frappé d’une telle interdiction. Est-là la position de neutralité attendue d’un pays qui s’affirme comme médiateur ?
Par ailleurs, si Donald Trump n’a pas infirmé la déclaration d’Emmanuel Macron, il l’a commentée de façon extrêmement brouillonne devant les journalistes, évoquant notamment une « ligne de crédit garantie par le pétrole » pour inciter les Iraniens à négocier, affirmant tout à la fois ne pas vouloir de changement de régime à Téhéran, que l’Iran était à son arrivée à la Maison-Blanche « le premier Etat parrain du terrorisme dans le monde », que l’argent reçu dans le cadre de l’accord de Vienne – dont les montants ont été très faibles, rappelons-le – a servi « à des fins malveillantes »… On sait surtout que les Américains baignent dans l’ambiguïté la plus totale vis-à-vis de l’Iran, entre la ligne dure de l’administration Trump représentée par John Bolton et Mike Pompeo, qui voudraient aller jusqu’au conflit, et la ligne du président lui-même, peu enclin à entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient, mais déterminé à obtenir un nouvel accord avec les Iraniens… plus intéressant pour les Américains. Si Emmanuel Macron affirme sa volonté de voir s’organiser une rencontre entre Iraniens et Américains dans les prochaines semaines, Trump maintient qu’il entamera son propre dialogue au moment opportun, d’autant qu’il n’a jamais été opposé à l’idée de rediscuter avec les Iraniens sans condition préalable.
La manœuvre diplomatique du président français, qui a réaffirmé la position prédominante de la France sur la scène internationale, apparaît donc très belle, mais elle trahit une certaine naïveté vis-à-vis des relations diplomatiques et surtout, une méconnaissance de la situation politique iranienne.
Peut-on réellement penser que les Iraniens se sentiront à l’aise à une table des négociations où les autres pays soutiennent ouvertement la position américaine, et font la sourde oreille à leurs arguments et demandes légitimes ? En outre, le président français s’illusionne sur la réalité du pouvoir politique en Iran. Celui-ci est divisé entre les réformateurs d’un côté – dont font partie Mohammed Javad Zarif et Hassan Rohani – et les conservateurs de l’autre, qui n’ont sans doute pas vu d’un bon œil ce déplacement du ministre des affaires étrangères. Néanmoins, ce ne sont malheureusement plus les réformateurs qui décident de la destinée du pays. Le fait même que Zarif est fait part de la demande de l’Iran de pouvoir vendre 700 000 barils de pétrole par jour est un aveu de faiblesse, et la preuve que les sanctions américaines fonctionnent. Par ailleurs, le Guide Suprême Ali Khamenei rappelle inlassablement que la République islamique ne cédera pas sur trois points : l’enrichissement d’uranium, la question des missiles balistiques et la présence militaire iranienne au Moyen-Orient. Soit les trois points qui posent problème aux Américains. Dès lors, quelle serait la marge de négociation iranienne dans le cadre de nouvelles discussions ?
Cette fin de G7 fut certes un joli coup de poker de la part du président français, qui a surtout servi habilement son image et sa communication. Mais dans les faits, cette visite de Zarif et les déclarations qui s’en sont suivies n’ont que très peu de chances de faire progresser le dossier du nucléaire iranien… du moins en faveur de l’Iran. Le couperet est tombé aujourd’hui avec le refus du Président iranien, surement sous la pression du Guide et des conservateurs, de rencontrer le Président américain tant que les sanctions US n’étaient pas levées. Imaginer qu’une telle rencontre aurait été possible sans l’aval du Guide Khamenei relevait de l’amateurisme.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 28/08/2019.