Ce lundi, les négociations sur le nucléaire iranien vont reprendre à Vienne. Les discussions se feront cependant sans les Américains, à la demande de Téhéran, et avec une République islamique campée sur une position maximaliste : l’Iran n’arrêtera pas son programme nucléaire – présenté comme pacifique par le président Raïssi – sans une levée de toutes les sanctions économiques qui le frappent. Bien qu’ils brillent par leur absence, les Etats-Unis se préparent d’ores et déjà à l’éventualité d’un échec diplomatique, ayant estimé à plusieurs reprises qu’il était désormais trop tard pour ressusciter le JCPoA selon ses termes initiaux.
Et bien que Joe Biden ait plusieurs fois rappelé son désir de ne plus engager militairement les Etats-Unis au Moyen-Orient, le général Kenneth McKenzie, commandant des forces américaines dans la région, a publiquement fait comprendre que la Maison-Blanche, le Pentagone et le Département d’Etat fourbissaient leurs armes et avaient déjà prévu un « plan B », si d’aventure les négociations ne trouvaient aucune issue. Un plan B « à large spectre », puisqu’il prévoit aussi bien de nouvelles sanctions qu’une intervention militaire contre l’Iran.
L’état-major américain est conforté dans cette position par l’insistance des Républicains, d’Israël et des pétromonarchies du Golfe Persique à prendre en considération les « activités malveillantes » de l’Iran dans la région, notamment par le biais de ses proxies. Selon le général McKenzie, ceux-ci auraient lancé le 20 octobre une attaque de drones contre la base américaine d’al-Tanf, dans l’est syrien. Seules les infrastructures en ont souffert, et aucune perte humaine n’a été déplorée. Mais pour Washington, le message a semblé suffisamment clair pour décider, neuf jours plus tard, d’imposer des sanctions contre deux hauts gradés du corps des Gardiens de la Révolution et deux entreprises affiliées, soupçonnées de fournir drones et matériel militaire aux insurgés en Irak, au Liban, au Yémen et en Ethiopie.
Diplomates et militaires américains divergent sur la stratégie à observer. Pour l’heure, les premiers conservent la main pour éviter un désastre diplomatique, et faire en sorte que l’Iran ne s’engage pas sur le chemin sans retour d’un armement nucléaire. Les seconds en revanche se montrent plus anxieux et pessimistes, comme le prouvent leur anticipation et les multiples « plan B » élaborés. Pour Washington, l’Iran n’a jamais été plus proche du break-out nucléaire, et selon l’AIEA, il aurait déjà atteint le seuil des 60% d’uranium enrichi (le seuil permettant de fabriquer une bombe étant de 90%). Selon une autre source (le rapport d’un think tank spécialisé dans l’analyse nucléaire publié en septembre dernier), une fois ce seuil atteint, trois mois seulement lui seraient nécessaires pour obtenir une seconde bombe, et moins de cinq mois pour une troisième. L’état-major américain estime cependant qu’il faudrait près d’un an à Téhéran pour développer des ogives capables d’être incorporées à son arsenal de missiles balistiques.
Si l’Iran s’abstient encore de franchir le Rubicon, c’est que l’incertitude et de l’anxiété ainsi créées chez les Occidentaux le placent en position de force pour négocier. Il reste néanmoins difficile de connaître exactement le stade de développement de son programme nucléaire, les inspecteurs de l’AIEA étant de plus en plus empêchés par les autorités iraniennes dans l’exercice de leur mission.
Dans un tel contexte, un accord nucléaire est-il non seulement possible, mais surtout pertinent ? Apaiser les tensions et les risques nécessiterait d’accéder à toutes les demandes de l’Iran, or cet objectif semble difficile à atteindre. Si l’administration Biden a montré une réelle volonté de revenir sur les sanctions économiques de l’ère Trump, la levée de celles relatives au soutien allégué au terrorisme et aux droits de l’homme représente un coût politique trop important pour le président américain, déjà fragile. S’il n’est pas dupe des activités de l’Iran au Moyen-Orient, toute la question reste de savoir quelles seront les lignes rouges qui empêcheront tout compromis. De fait, les négociations qui reprendront lundi ne semblent pas s’orienter vers un allègement de la pression économique subie par Téhéran, mais plutôt vers une sommation à revenir aux termes du JCPoA… La voie diplomatique reste donc ouverte, mais elle se rétrécit à vue d’œil, si bien que l’issue la plus probable des discussions viennoises reste l’échec.
Dès lors, les scénarios pour la suite des évènements sont peu nombreux : les cas de figure bellicistes prévoient la poursuite par l’Iran de son programme nucléaire jusqu’à obtention d’une bombe, ou bien une intervention militaire américaine contre Téhéran. Il existe encore deux autres possibilités : que la diplomatie parvienne miraculeusement à détourner l’Iran de ses objectifs, ou que ce dernier continue à jouer la montre et maintienne le climat de « guerre froide » actuel. Toutes ces hypothèses ont en commun d’être soit insatisfaisantes, soit irréalistes. Tel est pourtant le point où se trouvent tous les signataires de l’accord de 2015…
Du point de vue américain, l’approche multilatérale et collective reste la solution à privilégier en premier lieu pour obtenir un nouvel accord. Mais qui dit accord, dit levée des sanctions… Dans le cas contraire, l’Iran poursuivra son programme nucléaire jusqu’au break-out, sans doute via une explosion souterraine, ce qui le ferait enfin entrer dans le club très fermé des nations détentrices de l’arme nucléaire. Une telle avancée technologique le doterait certes d’une arme de dissuasion massive, mais relancerait aussi les dés du jeu moyen-oriental. Si cette perspective venait à se concrétiser, ce serait alors Israël et ses nouveaux alliés du Golfe Persique qui fourbiraient leurs armes.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 28/11/2021.